Un Kore-Eda prisonnier de son sujet dans un film ô combien artificiel

Kore-Eda est sans nul doute l’un de mes réalisateurs contemporains préférés. Même ses films que l’on pourrait qualifier de mineurs me touchent (Comme Après la tempête, que j'avais beaucoup aimé !). Mais là, je n’ai pas marché ; c’est certainement ma première déception chez Kore-Eda, qui réalise un film qui me semble un peu faux et qui me semble incapable de dépasser son sujet afin de proposer des choses intéressantes, que ce soit sur le plan intellectuel et cinématographique. Le film n’est pas mauvais, bien entendu, mais beaucoup trop vide, en surface, et ne me semble jamais pénétrer ses thématiques pour en tirer un vrai discours intéressant sur la psychologie humaine, chose que Kore-Eda fait souvent. Ce film est beaucoup trop ancré dans les traditions littéraires classiques surtout. Nous avons finalement une oeuvre assez pauvre en matière de Cinéma.


Alors oui, tout est bien fait, bien ficelé, bien rythmé, bien joué, bien scénarisé, mais tout est trop "bien" justement... Le film me paraît vraiment superficiel. Derrière cette apparente réussite formelle - qui n'en est pas une à mon sens - je trouve le film fade et vain. Ce que j’aime chez Kore-Eda, c’est quand il s’intéresse à la famille, quand il filme le quotidien des gens sans une intrigue toute tracée, qu’il laisse vivre ses personnages, mais ici, c’est presque l’inverse que j’ai ressenti, comme si les personnages étaient écrasés par ce film beaucoup trop écrit. Il n'aère pas son oeuvre, en fait !


Après, il est évident que Kore-Eda reste un metteur en scène talentueux, et on ne s’ennuie pas outre mesure, ça se suit avec plus ou moins d’intérêt, mais sans véritablement sortir du film, car c'est bien ficelé. C’est même parfois plaisant à suivre cette avancée de l’enquête, ce doute qui commence à hanter l’avocat, ces mobiles qui ne cessent de changer, même si le tout manque de saveur. Les personnages sont presque robotisés, et on n’y ressent peu de choses. Tout est mécanique, en réalité. Et même le personnage de Misumi est plutôt décevant, et pourtant, j'aime beaucoup Koji Yakusho. J’irais presque jusqu’à dire que ça sonne un peu faux.


En fait, le sujet en lui-même est intéressant, c’est juste qu’il ne me semble pas bien traité, et même pas traité du tout. La rencontre entre l’avocat et la famille de la victime, par exemple, au tout début du film, ne propose rien, si ce n’est d’ancrer le personnage de l’avocat dans une situation extrêmement compliquée. Mais Kore-Eda est quelqu’un qui aime examiner la nature de l’homme, et une scène pareil aurait pu être propice à une réflexion intéressante plutôt qu’à un affrontement rempli de lieux communs, avec une famille qui ne comprend pas comment on peut défendre un tel homme… Bon, on comprend mieux pourquoi cette scène est rapidement éjectée au vu du scénario, mais tout de même, ça aurait du être une scène forte, peu importe ce qui se passe par la suite ! La question et la confrontation, c'est tout bonnement intéressant, mais Kore-Eda ne s’intéresse que trop peu à son sujet, ou du moins, se focalise beaucoup trop sur les rouages et mécaniques de l’avocat qui amènent sa stratégie de défense et qui vont l’amener à douter. Il y a des choses intéressantes par ailleurs dans ces mécaniques de stratégie persuasive, notamment sur la falsification de certains faits, etc… Kore-Eda essaie malgré tout de nous dire quelque chose sur le système judiciaire japonais, mais c’est trop lacunaire, et il laisse sous silence beaucoup d’autres thématiques intéressantes… Franchement, une telle rencontre entre la famille et l’avocat défendant le meurtrier d’un membre de cette famille aurait été propice à un véritable affrontement plutôt qu’à quelques phrases bateaux (et je me répète, peu importante le chemin scénaristique qu'emprunte le film). Je prends par exemple la dernière fiction de Wim Wenders, sortie en 2015, Every Thing Will Be Fine, qui n’était pas un grand film, mais qui allait au bout de son sujet. Le personnage de James Franco a tué accidentellement un petit garçon lors d’un accident de voiture, et plus tard, Franco revoie le frère jumeau de la victime. Franco est écrivain, et il dit à ce frère qu’il n’a jamais mieux écrit que depuis qu’il a tué cet enfant… Paroles terribles, mais tellement intéressantes ! Wenders va au bout de son sujet, propose un véritable examen, propose une véritable thèse ! Et c'est ce que Kore-Eda ne se donne pas le droit de faire ici, me semble-t-il, restant prisonnier de son registre finalement plus que de son sujet, c’est-à-dire celui du polar ou du thriller. Il ne va pas plus loin dans l’idée et l’examen de la psychologie humaine, qui est pourtant l’une des marques de fabrique du réalisateur (notamment dans Nobody Knows, Still Walking et Notre petite soeur). Et dès qu’un dialogue intéressant naît, il ne dure pas très longtemps où sombre dans une certaine facilité, encore une fois Kore-Eda ne va pas jusqu’au bout de ses idées. J’aurais aimé qu’il s’attarde sur cette scène dans laquelle Misumi dit qu’il y a des gens qui n’auraient jamais du naître. Cela aurait pu engager une réflexion morale intéressante ; mais c’est vite balayée ! Et même si certaines scènes viennent ensuite faire échos à certaines idées énoncées précédemment, c’est souvent maladroit et peu convainquant.


J'ai donc été déçu car tout ce qui est intéressant est trop vite balayé par Kore-Eda, qui ne cesse de s'enfermer dans son oeuvre. Une oeuvre tellement écrite qui plus est !! Ce n'est plus du cinéma... Je repense à ce que disait Claude Simon sur le cinéma et à la distinction qu’il opérait entre les romans filmés et les films-romans. Le roman filmé représente la norme, la quasi totalité de la production cinématographique, qui fait du cinéma une simple continuation de la littérature ; son mode opératoire n’est pas vraiment cinématographique, mais use de ficelles littéraires, musicales, théâtrales et même picturales ; c'est globalement ce que reproche Bresson au cinéma d'ailleurs. Et bien ce film s'ancre tout à fait dans cette catégorie de roman filmé... Car le film, finalement, ne vit que par ses ficelles scénaristiques. Sans vouloir paraître trop dur, on dirait parfois du sous Patricia Highsmith. Mais il est évident que ce film n’est pas assez cinématographique et qu’il s’appuie surtout sur des éléments extérieurs au cinéma. Il n’est justement pas un film-roman, pour reprendre Claude Simon, qui est le cinéma qui s’affranchit des codes littéraires, de la narration classique (notamment de la narration moderne, la narration balzacienne ou hugolienne - entre autres).


Puis il y a quand même une certaine utilisation stylistique parfois un peu pompeuse, surfaite, parfois tire-larmes, parfois bien-pensante, bref, je n’ai pas été convaincu par certains choix de mise en scène où l’on appuie un peu trop, où tout semble manquer de subtilité. Et qui plus est, le film m’a parfois paru un tantinet moralisateur… Et il est difficile de faire une oeuvre intelligente de morale en étant moralisateur. Kurosawa l’a très bien compris quand il a réalisé le très brillant Entre le Ciel et l’Enfer.


Néanmoins, comme j'ai pu le dire, ce n’est pas complètement mauvais, car ça se laisse effectivement suivre. Les fameuses mécaniques intellectuelles de l’avocat sont même plaisantes à voir, tout comme l’évolution de son enquête, et de son point de vue surtout. L’enquête de manière générale est sympathique pour le téléspectateur, qui est également actif, qui cherche et remarque lui aussi les diverses incohérences, qui se rend compte du fonctionnement juridique, de comment marche ce milieu etc… Mais le film ne dépasse pas cela, et c’est bien dommage ! Et dès qu’il essaie un peu de le faire, ça sombre dans une énumération de lieux communs. La façon dont Kore-Eda traite le sujet est très décevante.


Ce n'est pas un mauvais film, mais c'est totalement convenu dans sa narration, et le film ne sait pas s'extirper de son sujet, au point qu'il en devient son esclave. C'est une belle déception à l'échelle du cinéma de Kore-Eda que j'affectionne tant. Au final, c'est une oeuvre plutôt pauvre... mais qui se laisse voir.

Reymisteriod2
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le 1 févr. 2020

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Reymisteriod2

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