Un drame puissant teinté du noir des polars américains des années 50. Présenté en compétition internationale au dernier Festival de Venise, le cinéaste japonais Hirokazu Koreeda filme un jeu de miroirs où la peine de mort, le viol, le meurtre et la justice se mêlent dans une vaste réflexion sur le sens de la vérité...


Hirokazu Koreeda, cinéaste cathartique des écueils familiaux (Tel père, tel fils, prix du jury à Cannes en 2013), travaille cette fois un nouveau registre, celui du film noir pour sonder la nature humaine et le système judiciaire japonais. Un film d’une beauté voluptueuse, rugueuse, capée d’un cuir de polar; une noirceur peut-être inégale, mais une répulsivité ancestrale : Justice, vérité; je t’aime, moi non plus!



Un plan final à la croisée des mondes...



Cela devait être une affaire classée, une sinécure pour la justice. Pourquoi remettre en cause la culpabilité de celui qui risque sciemment la peine de mort? Récidiviste et menteur, l’homme n’est pourtant pas un fou. Pour cette affaire, Hirokazu Koreeda affiche une esthétique teintée du noir des polars américains: La périphérie désaffectée d’une scène de crime dans Le Dahlia Noir, le tandem judiciaire d’un Seven, les persiennes d’Assurance Pour La Mort, jusqu’aux scènes d'interrogatoire, sublimes, métaphysiques et fantomatiques, façon Clarice et Lecter (Le Silence des agneaux) en moins névralgiques. En somme, voilà un thriller patchwork où miroitent les plaisirs cinéphiles et ce, jusque dans un plan final, à la croisée des mondes.



L’absurde judiciaire et les milles circonvolutions de l’être ...



Une beauté éclatante mais l'opacité vacille. 30 ans auparavant, Shigemori échappait au pilori grâce à la clémence d’un juge qui n’était autre que le père de Misumi. Lorsque les deux (ré)ouvrent les dossiers, le suspens plonge ailleurs. Il y a une tendresse, une drôlerie, une légèreté, une thérapie “père-fils” d’inspiration sitcoms. Mais ces rares moments amusants et curieux, traversant le polar comme un filet d'air frais, laisseront le sentiment d'un suspens étrangement câblé. Pourtant Koreeda nous envoûte du flou de l’enquête et viendront ensuite les confidences de la veuve à sa fille pour enfin suffoquer, repenser au crucifix tracé à la place du corps et voir apparaître, en filigrane, l’idée d’une justice anonyme…


Le réalisateur ouvre une large fresque sur la véritable justice et ses garants, et donne avec les partitions de Ludovico Einaudi une authenticité au film noir. Dans un interrogatoire final, les visages se confondent et l’ambivalence des responsabilités est insondable. Masaharu Fukuyama et Kōji Yakusho se révèlent hypnotiques. Un labyrinthe judiciaire, quelques rares fluctuations dans l’intrigue mais Hirokazu Koreeda compose un drame puissant, où se nouent avec maestria l’absurde judiciaire et les milles circonvolutions de l’être.


Article complet sur Cineman.ch

guardianalfred
8
Écrit par

Créée

le 10 avr. 2018

Critique lue 2.4K fois

23 j'aime

1 commentaire

Critique lue 2.4K fois

23
1

D'autres avis sur The Third Murder

The Third Murder
SanFelice
8

L'insaisissable vérité

Deux hommes, de nuit, marchent sur les berges d’une rivière. Puis l’un d’eux sort un outil et fracasse le crâne du second, avant de mettre le feu au cadavre. Nous sommes dans la scène d’ouverture du...

le 16 août 2020

24 j'aime

4

The Third Murder
Theloma
7

Leurres de vérité

L'étrange paradoxe de ce film est qu'il parle deux heures durant de la question de la vérité tout en repoussant sans cesse l’émergence d'une vérité. Celle concernant le meurtre d'un patron...

le 2 déc. 2018

23 j'aime

15

The Third Murder
guardianalfred
8

A quoi bon la vérité ?

Un drame puissant teinté du noir des polars américains des années 50. Présenté en compétition internationale au dernier Festival de Venise, le cinéaste japonais Hirokazu Koreeda filme un jeu de...

le 10 avr. 2018

23 j'aime

1

Du même critique

Petit Paysan
guardianalfred
7

Aux sombres héros de la terre

A 32 ans, Hubert Charuel signe un premier long métrage, repéré à Cannes, dont l'intrigue se déroule dans une exploitation laitière. Tourné dans la ferme de son enfance en Champagne-Ardenne, il pose...

le 24 août 2017

21 j'aime

2

Place publique
guardianalfred
6

Formule grippée mais générosité intacte.

Si Jean-Pierre Bacri se révélait formidable de cynisme dans Le sens de la fête, l’acteur revient dans Place Publique avec une humeur toute aussi noirâtre et jubilatoire. Misanthrope farci à la...

le 17 avr. 2018

17 j'aime

Budapest
guardianalfred
3

Les folles nuits hongroises ...

Après un passage chez les américains avec le récent Cold Skin (2017), Xavier Gens, réalisateur du très sulfureux Frontière(s) (2007), passe de l’horreur à la comédie et nous raconte une histoire...

le 28 juin 2018

14 j'aime