J'entends des voix dans ma tête...


Celle d'un chien fidèle et un peu idiot. Et celle d'un chat fielleux aux allures maléfiques et malsaines. Ces voix reprennent l'opposition désormais classique des caractères. Entre la dévotion quasi aveugle de l'un, le mystère et l'indépendance de l'autre. L'Oiseau Bleu n'est pas loin.


Ces voix constituent le quotidien d'un solitaire asexué, aux allures de Norman Bates, qui essaie de se fondre dans un quotidien ripoliné à la John Waters, de petite bourgade perdue et miteuse. Un quotidien morne rythmé, pour Jerry, par un travail anodin et dérisoire. Tout comme des rendez-vous à la fréquence immuable en forme d'éternelle répétition abrutissante.


Par la suite, j'ai entendu la voix d'une tête coupée qui réclame, dans un grand sourire, un peu de compagnie au fond de son frigo. Elle était aussi fraîche que quand elle était encore sur les épaules d'une jolie anglaise qui, on ne sait pas trop comment, s'est perdue dans ce coin anonyme d'Amérique qui, sans doute, ne la mérite pas. Allumeuse égocentrique. Elle est le chat d'une vie qui s'éteint, dans tous les sens du terme, et qui fait renouer le personnage principal avec une réalité saisissante et anxiogène.


Un traitement fait de comprimés neuroleptiques termine au fond de l'évier, tandis que les boîtes Tupperware s'empilent par kyrielles. La perception de la vie de Jerry se trouble et devient rassurante, douillette, colorée, à l'image de son lieu de vie idéalisé. Si ce n'est ces voix qui prennent de plus en plus de place, tout irait pour le mieux.


Jusqu'à ce que les pulsions reprennent le dessus. Jusqu'à ce que Jerry se trouve une brave fille amoureuse aux allures de chien fidèle. Jusqu'à ce qu'il fasse confidence des chamboulements qui se passent dans sa tête à sa psy.


La vie de Jerry déraille alors dans un tourbillon, esclave de sa perception altérée de ce qui l'entoure. Il en apparaît à la fois inquiétant, déstabilisant et touchant. Ryan Reynolds n'y est pas pour rien, lui qui ne pousse jamais son interprétation dans un second degré qui aurait porté préjudice au film.


Ces voix, dans la tête de Jerry, ce sont aussi celles qui agitent The Voices, qui évolue constamment dans le ressenti qu'il donne à percevoir pour son spectateur, qui pourra se montrer à l'occasion quelque peu désorienté. Car à la voix de la comédie horrifique succède celle des troubles émotionnels d'un personnage que l'on a grand peine à condamner de manière unilatérale, avant que les murmures d'une violence et d'une horreur en sourdine ne se rappellent à notre bon souvenir.


Les voix de The Voices soulignent l'aspect mosaïque d'une entreprise protéiforme et multiple, parfois un peu maladroite, mais qui, en creux, signe un drôle de portrait, marqué par une certaine empathie pour un assassin qui, s'il se débat avec ses pulsions et les hallucinations auditives qui l'entraînent au fond du gouffre, lutte surtout contre sa propre hérédité, lourde, grave et déchirante.


Au point que l'on se surprend à espérer une fin heureuse. La dernière séquence, musicale, en fera office, offrant une touche d'un décalage des plus euphorisants, s'affranchissant d'un moralisme classique. Dernier pied de nez pour Marjane Satrapi, que je n'attendais pas à pareille fête.


Car ça, aucune petite voix me l'avait soufflé...


Behind_the_Mask, à chat perché.

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le 15 juin 2018

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