Doug Liman est indéniablement un faiseur d'Hollywood digne d'intérêt. Si on peut pester contre sa capacité à accepter des scripts nauséabonds ("Mr. and Mrs. Smith", "Jumper") on ne peut pas lui reprocher un manque d'ambition formelle. Il ne faut en effet pas oublier qu'avec le premier de la série des "Bourne", il est l'un des inventeurs du style actuel des blockbusters d'action, avec caméra à l'épaule et montage frénétique très largement galvaudé depuis. C'est justement parce que cette marque de fabrique est aujourd'hui reprise par des tâcherons comme Marc Forster ou les frères Russo que son utilisation perd de son impact. La preuve, lorsque Liman met cette recette au service d'un scénario ludique et inventif, il en tire "Edge of Tomorrow", qui s'extirpe largement de la masse des productions hollywoodiennes. Reste qu'il est bien difficile de sortir de cette fange, quand le fond révèle de larges fissures.


Sorte de huis clos à ciel ouvert, "The Wall" prend place de nos jours au beau milieu du désert d'Irak après la fin officielle des combats : ce qui n'empêche pas un sniper irakien embusqué de mettre en joue deux soldats américains qui s'embusquent alors derrière un mur de pierre. Il faut bien avouer que les prémices du récit sont plutôt prometteuses. Les contraintes spacio-temporelles sont astucieusement dépassées par un contact radio permanent entre la proie et son agresseur dissimulé, annonciateur d'un conflit tout autant physique qu'idéologique. Quant à la démarche formelle, elle est digne du cinéaste aux commandes. En multipliant les gros plans sur le visage des soldats américains en perte de repères, et les caméras à l'épaule de leur point de vue sans musique pour troubler la mélodie des balles qui fusent et des corps agonisant, Doug Liman propose une immersion réussie au cœur de l'action. Seul le comportement peu crédible et ridiculement stupide du personnage principal, qui se rue vers son coéquipier blessé sans se soucier du tireur qui l'attend au tournant, met la puce à l'oreille dans un premier temps.


Ensuite, ça se corse. Tandis que le rythme du film prend du plomb dans l'aile, notamment à cause d'une empathie quelque peu artificiel pour ce soldat mal au point derrière son mur, qui ne dévoile ses tourments qu'au moment d'avouer avoir accidentellement pris pour cible un frère d'armes lors d'une précédente mission. Là où Clint Eastwood avec "American Sniper" sondait de fond en comble la psyché de son protagoniste, Liman se cantonne ici à un archétype dont la souffrance n'implique plus le spectateur à la longue. Mais la caricature est d'autant plus gênante concernant l'antagoniste, qui jouit de sa posture de dominant maître de la situation jusque dans une fin qui enfonce joyeusement le clou, au point que Télérama qualifie le film de "subversif". Certes, l'Amérique est malmenée par la déroute de ces deux soldats qui démontrent l'impuissance de l'armée à résoudre les conflits. Effectivement, la posture morale du soldat américain est mise à mal lorsque son ennemi l'informe que le mur derrière lequel il se cache est celui d'une école irakienne détruite par les bombardements. La rhétorique du soldat américain, dont l'inculture est soulignée, sonne alors creuse mais le regard critique s'arrête là.


Et ce précisément à cause de la diabolisation du soldat irakien, dont le portrait esquissé ne démonte en rien les préjugés de sa proie en détresse. La jouissance que l'agonie de ses ennemis lui procure, et l'infaillibilité du mécanisme pervers et meurtrier qu'il met en place le déshumanise complètement, tandis que le dialogue rapidement stérile entre les deux adversaires n'élève pas le discours du film. Il se dessine alors le symptôme d'une Amérique à la perception toujours manichéenne, incapable de regarder ses fantômes en face : pas une seule fois le visage du soldat irakien n'est montré à l'écran. Ce n'est pas un combat d'homme à homme que développe "The Wall", finalement très consensuel comparé à l'album des Pink Floyd éponyme. C'est l'affrontement d'un chasseur réduit à sa seule condition de dominant, face à une proie désemparé qui n'inspire que la pitié. Sans être un triste objet de propagande comme l'est "Du sang et des larmes", le dernier métrage de Doug Liman ne s'extirpe pas des schémas du film de guerre à l'américaine.


Ma critique de "Edge of Tomorrow" :
https://www.senscritique.com/film/Edge_of_Tomorrow/critique/37483909

Marius_Jouanny
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le 26 juin 2017

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