Est-ce que cela vous est déjà arrivé de voir une bande-annonce et de vous dire "mince, ce film a l'air dément, mais il ne sort pas avant un bon bout de temps ; en attendant, pourquoi ne pas jeter un coup d’œil au reste de la filmographie du réalisateur ?" ? C'est exactement la réaction que ma copine et moi avons eu après le trailer de The Lighthouse, le prochain film de Robert Eggers, qui nous promet un huis-clos expressionniste entre Willem Defoe et Robert Pattinson en gardiens de phare. Trop. Hâte.


Bref, d'ici là, nous nous sommes rabattus sur le premier long-métrage d'Eggers, qui avait enthousiasmé le festival de Sundance et avait pris public et critiques par surprise il y a quelques années : The Witch, une histoire de possession sur fond de colonisation de la Nouvelle-Angleterre au XVIe siècle. De fait, le titre original complet est : The VVitch, a New England folktale, comme pour mieux souligner l'anachronisme du "double u" de la langue de Shakespeare actuellement pratiquée.


Inspirée par divers témoignages et anecdotes d’époque, le film traite d'une famille de colons chassés de leur colonie puritaine suite à un sombre différend dogmatique. Les parents William et Katherine, leurs cinq enfants Thomasin, Caleb, Mercy, Jonas et Samuel, leur chien Fowler et leur chèvre Flora vont s'installer à quelques encablures de là, à l'orée d'une sinistre forêt, pour y cultiver (sans grand succès) le maïs. C'est alors que des phénomènes étranges vont venir perturber leur paisible existence…


Ce qui frappe d'entrée avec The Witch, c'est l'ambiance ; condition sine qua non pour un film d'horreur en costumes, me direz-vous, mais il aurait été aisé de faire du cadre spatio-temporel un simple gimmick, un artifice. C'est un problème que j'ai toujours eu avec Le Village de M. Night Shymalan car avant même le très contestable twist final, je n'ai jamais eu l'impression de regarder un film historique puisque son cadre, relativement similaire à celui du film d'Eggers, me semblait purement anecdotique ; et ne parlons pas des slashers ou films d'épouvante sur fond de Seconde Guerre Mondiale… mais le travail de reconstitution d'Eggers et son équipe fait montre de beaucoup plus de rigueur, non seulement dans les costumes et les décors, mais surtout dans le langage des personnages ; ce qu'ils disent et comment ils le disent.


L'anglais élisabéthain parlé par la petite famille rend ainsi quasi-indispensable le recours aux sous-titres, mais il contribue indubitablement à nous immerger dans ce monde de superstitions, si éloigné du nôtre. De fait, j'ai trouvé une certaine distanciation dans The Witch, qui est à la fois son plus gros atout et sa plus grande faiblesse, à mes yeux. Autant j'apprécie l'effort de reconstitution de l'Amérique du XVIe siècle et qu'on s'éloigne de clichés du type maison hantée ou ados en excursion, autant je me suis senti totalement étranger à l'intense spiritualité de ces gens, laquelle se traduit en un mélange de détresse et de fatalité. C'est un ressenti purement personnel, mais je me suis étonné d'être aussi détaché de leur sort, alors même que je me délectais des images, de la musique sinistrement baroque de Mark Korven et de l'interprétation des acteurs.


Ces derniers sont tout bonnement remarquables : Anya Taylor-Joy en particulier dans le rôle principal, celui de la fille ainée Thomasin, pourtant très exigeant. C'est bien connu, les héroïnes de films d'horreur ont tendance à se diviser en deux catégories, la dur-à-cuire et la nunuche un peu moins nunuche que les autres. Par chance, Thomasin n'est ni l'une ni l'autre. Le personnage est éminemment attachant car il est réaliste, et ce capital-sympathie doit beaucoup à son interprète. Kate Dickie et Ralph Ineson sont également parfaits dans des rôles qui semblent taillés à leur mesure, elle en mère tourmentée et hystérique, lui en père taciturne. Au registre des coïncidences amusantes : tous deux jouaient dans Game of Thrones (Lysa Arryn et Dagmer Claftjaw respectivement) ainsi que dans Star Wars : The Last Jedi dans lequel ils interprétaient l'une et l'autre des officiers du Premier Ordre !


Il est difficile de rentrer un peu plus dans le détail du scénario sans spoiler, aussi conclurai-je en recommandant The Witch, objet assez inclassable dans le monde surbooké des films d'horreur. Je ne suis pas sûr d'y avoir vu l'objet de réflexion et d'effroi maximum que la critique a volontiers dépeint, mais son style plus pernicieux que véritablement axé sur le choc (et pourtant il y en a, croyez-moi) en fait certainement une expérience mémorable, surtout le soir en compagnie de sa chère et tendre !

Szalinowski
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le 6 août 2019

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