Mes expériences en matière d’épouvante-horreur sont si peu nombreuses que je pourrai toutes les citer, les raisons découlant d’un ensemble de choses : un intérêt moindre, un masochisme en berne et… une appréhension qu’il convient de nommer. Difficile donc de visionner de mon propre chef The VVitch, mais ce serait sans compter l’influence de The Lighthouse : car en actant la maestria de Robert Eggers, formidable créateur d’ambiance de son état, la curiosité s’imposait d’elle-même.


Que le diable m’emporte donc : j’ai sauté le pas. Dans un registre différent des « aventures » hallucinatoires d’Ephraim et Thomas, The VVitch embrasse avec davantage d’allant son potentiel horrifique : pour autant, ce premier film témoigne parfaitement du crédo atmosphérique d’Eggers, bien déterminé à faire primer la suggestion, l’oppression discrète et l’imagerie plutôt que le gore à outrance et les sempiternels jump scare.


Puisant dans les contes et légendes de la Nouvelle-Angleterre faisant la part « belle » aux sorcières, le long-métrage propose deux niveaux de lecture s’entremêlant insidieusement : un premier résolument réaliste, doué d’une crédibilité certaine dans sa plastique, sa reconstitution et sa photographie, et un second versant dans du fantastique de mauvais augure, le genre de ceux qui pervertisse le religieux au profit de forces maléfiques insurmontables.


L’immersion se veut donc constante : Robert Eggers nous précipite aux côtés de ses infortunés colons, tout juste bannis de la colonie britannique de Salem, à la lisière d’une sinistre forêt, mutique et écrasante, dense et sombre. Optant exclusivement pour la lumière naturelle, le réalisateur confère à ses décors une empreinte folle, un rôle de carcan nous soumettant, démunis, aux caprices funestes des travers humains et de quelque chose d’encore plus sinistre.


Descente aux enfers patiente comme pas deux, The VVitch aurait pu se permettre de maintenir le mystère quant à son versant surnaturel, mais l’enlèvement précoce de Samuel donne d’emblée le ton : au moyen des choix formels préalablement exposés, mais aussi via l’usage de l’hors-champ et d’un montage glaçant d’effroi, le film ne lésine pas sur l’horreur et expose sciemment la « nature » du danger à l’œuvre. La séquence marque ainsi la rétine comme l’esprit, l’inéluctable s’impose à nous tandis que le déchirement de la famille (sans nom) débute pour de bon.


Si le doute pouvait subsister, nous comprenons malgré tout rapidement que l’espoir sera aux abonnés absents : nulle salvation à venir pour William, Katherine et leur progéniture, chacun succombant à sa façon au pire pour achever toute perspective lumineuse. Le drame a (ré)ouvert des plaies béantes, le délitement est en marche forcée : la menace se veut alors duale, le malaise aussi, et nous nous retrouvons comme eux ballottés par cette irréversible manège diabolique.


Pour autant, si Eggers a un véritable sens de la mise en scène, de l’atmosphère et du verbe, il manque un petit quelque chose à The VVitch : car s’il confine indubitablement à l’horreur et au frisson, il ne parvient toutefois pas à nous achever pour de bon. La faute peut-être à sa relative linéarité, le long-métrage ne quittant jamais les rails de son enfer croissant, dont il nous aura montré les principales coutures : exception faite de l’ambiguïté des jumeaux (désagréables à souhait) et de leur « comparse » Black Phillip, le récit fait ainsi mine de s’enliser dans une prévisibilité le desservant.


Voilà qui est sacrément regrettable au regard de ses atouts et atours démentiels, ses comédiens et sa bande-originale n’y étant d’ailleurs pas étrangers, faisant par voie de fait de The VVitch une claque avortée : son dénouement, doué d’une signature faite de fatalisme et exultation douteuse, aurait davantage dû nous remuer dans tous les sens du terme. Quant à la proposition même d’Eggers, gageons que celui-ci mérite bien quelques louanges, n’en déplaise à de telles limites.

NiERONiMO
7
Écrit par

Créée

le 28 juil. 2021

Critique lue 61 fois

1 j'aime

NiERONiMO

Écrit par

Critique lue 61 fois

1

D'autres avis sur The Witch

The Witch
Gand-Alf
8

Into the Woods.

Grande sensation du festival de Sundance en 2015, rachetée immédiatement par Universal pour une visibilité plus conséquente, il est à parier que The Witch risque de subir le contre-coup de ses...

le 20 juin 2016

124 j'aime

7

The Witch
Velvetman
7

Le petit chaperon rouge

The Witch est déconcertant. En 1630, une famille bannie de son village va vivre à l’écart de la société et prospérer proche de la forêt. Pour se sentir en osmose totale avec les cieux et loin de la...

le 7 juin 2016

119 j'aime

12

The Witch
Sergent_Pepper
7

La lisière sans retour

Dans la production pléthorique de films d’horreur et d’épouvante, on nous en sort au moins par an qui pourrait franchir le cercle des amateurs et accéder à la dignité d’un véritable film. L’année...

le 4 juil. 2016

90 j'aime

5

Du même critique

The Big Lebowski
NiERONiMO
5

Ce n'est clairement pas le chef d'oeuvre annoncé...

Voilà un film qui m’aura longuement tenté, pour finalement me laisser perplexe au possible ; beaucoup le décrivent comme cultissime, et je pense que l’on peut leur donner raison. Reste que je ne...

le 16 déc. 2014

33 j'aime

Le Visiteur du futur
NiERONiMO
7

Passé et futur toujours en lice

Un peu comme Kaamelott avant lui, le portage du Visiteur du futur sur grand écran se frottait à l’éternel challenge des aficionados pleins d’attente : et, de l’autre côté de l’échiquier, les...

le 22 août 2022

29 j'aime

Snatch - Tu braques ou tu raques
NiERONiMO
9

Jubilatoire...

Titre référence de Guy Ritchie, qui signa là un film culte, Snatch est un thriller au ton profondément humoristique ; le mélange d’humour noir à un scénario malin et bien mené convainc grandement,...

le 15 déc. 2014

18 j'aime

3