C’est l’histoire de deux gus qui gardent un phare… sauf que la blague nous est contée par les frangins Eggers, Robert et Max pour vous servir, fratrie de joyeux lurons ayant un goût immodéré pour la galéjade confinant aux paradoxes : ici, le classieux côtoie l’émétique, le vivace se mêle au morbide… et la colocation convie les générations dans une lancinante rixe.


Plus d’une semaine après avoir « subi » The Lighthouse, le souvenir de son visionnage me turlupine encore et toujours : car s’il ne fût en rien aussi éprouvant que pour ses infortunés protagonistes, qu’il m’est difficile d’en dresser un bilan clair. Pour autant, une chose tient de l’évidence : Robert Eggers est un magicien du moindre moyen, celui-ci accouchant d’une monstrueuse expérience irréprochable et originale dans sa forme, douée d’une identité unique en son genre (je n’ai pas vu The VVitch, mais…) et ce pour seulement quatre petits millions de dollars.


Toutefois, par-delà la prouesse en tant que telle, le bonhomme impose surtout sa patte : au point d’ailleurs d’accroître la « radicalité » de son récit, le choix d’un format 4:3 tenant du carcan oppressant mais judicieux dans la perspective qu’il souligne, Ephraim et Thomas s’avérant prisonniers du cadre-même. Et si nous pouvions penser que l’usage du noir et blanc serait finalement plus anodin que cette image résolument carrée, difficile d’être aussi catégorique au sortir du long-métrage : à ce titre, The Lighthouse capitalise à n’en plus finir sur les jeux d’ombres et de lumières que lui confère le procédé, en l’espèce parfait pour ce qui est de la nuance moins binaire qu’il n’y paraît.


Savant créateur d’atmosphère, Eggers parvient donc ici à donner vie à un univers aussi fascinant que rebutant, de surcroît empreint d’une « matière » certaine : l’île dans son ensemble est ainsi tangible à souhait, faisant de la composante horrifique du récit une force proprement hypnotique. Cette gestion hors pair de l’environnement accouche ainsi d’un enfer plus vrai que nature, parachevant la réussite et claque formelle qu’est The Lighthouse… lui qui malmène, transcende et, finalement, théâtralise ses deux formidables têtes d’affiches, Willem Dafoe navigant tel un poisson dans l’eau (regard dément de rigueur) tandis que Robert Pattinson continue d’étoffer son curriculum vitae post-Twilight (et de quelle manière !).


Quant au fond de l’affaire... la question de la folie se pose naturellement, mais pas que. S’il est plutôt délicat de le séquencer, le glissement dans cette dernière que nous dépeint le long-métrage résume plutôt bien ses aspirations confusantes : que et qui croire ? Bien que nous pourrions nous raccrocher à des éléments davantage ostensibles, tel ce diable d’alcool prenant ses quartiers avec grand fracas, les innombrables contradictions que profèrent nos deux gardiens enjoignent à la circonspection : par exemple, lorsque Ephraim demande à Thomas son nom pour les quinze jours restants, qui nous dit que deux semaines viennent bien de s’écouler ?


Jouer avec la temporalité, notamment en la délitant, est un rouage assez commun mais ici excellemment exploité tant il corrobore l’aliénation du duo… à moins que ce ne soit seulement Ephraim qui en pâtisse ? Pour le reste, The Lighthouse se prête bien au jeu de l’allégorie en pagaille, l’aura mystique qu’il transpire l’y aidant grandement : la lumière du phare pourrait alors tenir du fruit défendu, le phare en serait l’arbre divin… et Thomas camperait le rôle de prophète zélé. Il y a aussi cette satanée mouette borgne, qui préfigure volontiers le trépas nullement enviable d’un Ephraim brisé, mourant… et arborant un œil crevé.


Bref, The Lighthouse marque à la fois la rétine et l’esprit, démonstration formelle bénéficiant de renforts de poids (ses interprètes donc, mais aussi la terrible composition de Mark Korve) et preuve (s’il en est) du talent certain de Robert & Max Eggers. Reste quelques choix de prime abord douteux (la « promenade » en laisse puis l’enterrement pour ne citer qu’une seule séquence) et un mystère ambiant ne s’apprivoisant guère : aussi, nul doute que le jusqu’au-boutisme viscéral dont il fait preuve pourra en rebuter quelques-uns.

NiERONiMO
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le 15 janv. 2020

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NiERONiMO

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