Comme pour invoquer les codes et les passages obligés du film de sorcière, The Witch s'ouvre sur un procès. Mais paradoxalement, il ne s'agit pas d'un procès pour hérésie, mais pour orthodoxie. Robert Eggers convoque dès les premières images le propos central du film: la dévotion.
The Witch raconte en effet comment, en suivant les dogmes intenables d'une religion fataliste, le fidèle se retrouve lui-même prisonnier de ses propres angoisses fanatiques.


The Witch a pour note d'intention la peinture du folklore et des contes de la Nouvelle-Angleterre du 17ème siècle. Pour cela, Robert Eggers n'emploit que des lumières naturelles pour illustrer l’âpreté du mode de vie des colons, et le fanatisme religieux dans lequel s'est déroulée la conquête de ce continent. Car bien qu’anecdotiquement représentés au début du métrage, ce ne sont pas les indigènes païens qui sont à l'origine de l'hérésie.


Directeur artistique de formation (comme l'indique son look), Robert Eggers déconstruit le mythe du colon hardi, coupeur de bois, à la Charles Ingalls pour mieux figurer la perversion de la figure familiale.


En effet, c'est au final la fille la moins pieuse de la famille qui succombe en dernier aux charmes du Diable.


Dépeignant les dîners en clair-obscur, à la bougie, à la manière de Rembrandt, The Witch adopte une posture quasi-naturaliste. Robert Eggers ne s'autorise presque aucun artifice visuel ou effet-spécial. Le crescendo dans le fanatisme se fait uniquement par la mise en scène et la composition des cadres inspirés. Il réussit également le tour de force d'évoquer des centaines d'années de représentation du Mal sans jamais abuser de figures ésotériques explicites. Certains plans pouvant même évoquer les dessins du couple Fortifem.


Ce dont souffre peut-être The Witch, c'est son marketing à côté de la plaque, appuyé par un label Sundance Festival trompeur. Notamment à cause de son affiche française ne se démarquant pas des Conjuring et autres films d'exorcisme. Lors de ma projection, les spectateurs se sont montrés unanimes quant à l’arnaque, lésés de ne pas avoir leur dose de délire horrifique gonzo. L'affiche alternative se montrait alors plus équivoque quand à la note d'intention du film.


Reposant sur une ambiance pesante, un rythme contemplatif jamais ennuyeux, The Witch révèle également d'étonnants jeunes acteurs, jamais ridicule en s’exprimant pourtant en anglais ancien. Mention spéciale pour les grands yeux envoutants d'Anya Taylor Joy.


Malgré un échec au box-office U.S., The Witch est réellement enthousiasmant. Le prochain projet du jeune réalisateur Robert Eggers étant un remake de Nosferatu, il serait intéressant de voir comment, après le baroque hollandais, il va réinterpréter l’expressionnisme allemand.

Julien_Jeanne
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le 19 juin 2016

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Tcherno  αlpha

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