Titane est le film de l'année parce que le film d'une époque.
Julia Ducournau, qui avait promis le meilleur avec son précédent film Grave, signe une nouvelle fois, une œuvre de son temps : son film est queer, son film est cru, son film est libre, son film est trash, coloré, bruyant, violent puis éthéré, son film emprunte à l'esthétique du clip autant qu'à Cronenberg, et, à l'image de sa scène d'ouverture, fait se percuter comme dans un assourdissant accident, genres (sexuels et artistiques), thèmes et esthétiques.
Comme un film de son époque, et comme finalement tout film de genre, derrière le bruit qui court et la volonté provocatrice (la récompense ultime à Cannes - geste risqué mais admirable tant il est lourd de symboles -, les réactions des spectateurs, celles des critiques, ...), Titane aborde de biais de nombreux thèmes actuels ; il est un film sur la monstruosité, sur la jeunesse, sur la marginalité et sur la différence et, surtout, sur sa nécessaire acceptation.
Il est une revendication (quasi) politique de la liberté sexuelle et de genre, une dénonciation caustique d'un male gaze toxique subi autant dans la rue qu'au cinéma et dont Ducournau se moque en en empruntant tous les codes les plus crasses, mais en se refusant, par une étrange pudeur qu'on lui reprochera, à finalement le retourner (les hommes étant finalement toujours bien cachés).
Il est un film de femmes sur la laideur et la beauté des hommes, et leur désir de virilité maladif (de la bande de jeunes dans le bus, des pompiers torses nus qui font des pogos à ce père qui se sent vieillir et se shoote aux stéroïdes).
Il est aussi, et peut-être surtout, un film sur la peur et la violence que représentent l'enfantement et la parentalité.
Une fois dit cela, derrière ce qu'on voit, ce qu'on lit, ce qu'on comprend, Titane ne parvient jamais à être le coup de poing, le brûlot politique et l'œuvre provocatrice qu'il désire continuellement vouloir être.
Car Ducournau va soit trop loin et s'épuise, rendant par sa volonté de trop faire, l'ensemble intégralement bancal, jamais bouleversant, jamais terrifiant, jamais vraiment drôle ou bouleversant, ce qu'elle avait réussi, avec plus de subtilité, moins de grossièreté, et peut-être moins d'ambition (et de moyens) avec son précédent et premier film.
Titane en effet ne cesse de s'égarer, de se chercher, rendant une séquence de meurtres gratuites faussement drôle, et d'autres censées émouvoir tournent en fait au ridicule (La Macarena). Ses dialogues (qu'elle a écrit) sont pauvres, presque risibles, et ses effets tapageurs (de lumière, de couleur, de musique criarde - Jim Williams -, de violence gore risibles) fatiguent. Son film est perlé de défauts, presque enfantins, des maladresses tendrement cruelles qui alourdissent terriblement le film et n'ont pour résultat que l'ennui progressif du spectateur qui se perd dans cette intrigue qui ne sait où se rendre pour convaincre.
Ducournau, volontaire, punk, et pleine de bonnes intentions, s'emmêle et s'égare, chutant souvent, par son gore qui n'a pour elle que de l'être (la première moitié n'est qu'une série de petites provocations et titillements de nos limites physiques de spectateur), et ne sert jamais le récit sur la base duquel elle tente pourtant de se justifier. Le film se perd également dans des scènes stériles (vingt bonnes minutes auraient pu être gagnées) et des personnages insipides, peu construits, qui ne produisent aucun effet sur le mécanisme de son intrigue
.
Et pourtant, la réalisatrice sait parfois trouver la grâce qu'elle recherche dans la laideur de ce qu'elle filme, elle sait déceler l'étrange beauté qui se dégage de sa fascination glauque de mécanophile biberonnée à Carpenter et Cronenberg, et elle réussit à aiguiser la liberté de son regard sur une France diverse, un France des périphéries que peu de cinéastes regardent ou savent regarder, pour délivrer enfin le plus beau de ses messages grâce aux regards puissants d'un père ressuscité (Vincent Lindon, un peu perdu, mais souvent impressionnant dans ce rôle qu'on ne l'aurait jamais envisagé accepter).
Titane demeure un geste radical et libre, féministe et puissant, intéressant parce qu'inédit, une œuvre qui propose indubitablement quelque chose, même si elle se sait référencée et pleine de défauts, mais un geste rare qui, comme toute réelle proposition de cinéma, mérite le détour et les célébrations.