Au départ, j'allais voir "Petit âne", un conte pour enfants, mais la caissière au cinoche a compris "Titane". Et comme un con, moi je suis le flot des spectateurs sans vérifier... Ça commence avec l'histoire d'une petite fille (qui ne s'appelle même pas petite Anne) ou plutôt d'une petite peste qui énerve (sans raison) son papa dans la voiture et le distrait au point qu'il perde le contrôle du véhicule. Après qu'on lui ait foutu une plaque de titane dans le crâne à cause de l'accident, la petite peste continue de détester cordialement son papa, cette fois avec possiblement un peu plus de raisons d'être chonchon. En sortant de l'hosto, avec son bout de carrosserie dans le crâne, elle se prend immédiatement d'amitié pour le Renault Scenic familial qu'elle embrasse comme si c'était son frère de lait.


On retrouve ensuite la fille en jeune adulte qui a gardé une méchante cicatrice à la tempe parce que la chirurgie réparatrice devait être trop chère ou ses parents trop radins. Par provocation, elle est devenue danseuse, joue de son physique avantageux et se frotte à ses amies les voitures dans des shows endiablés destinés à des messieurs fans de car-wash et de parechocs. On s'éloigne vachement du conte pour enfants. Je comprends bien qu'il y a erreur, mais bon, je suis installé. Je reste... La danseuse a des fans, qu'elle tue quand ils se font trop pressant en requérant des autographes. Comme c'est une activité salissante, elle veut prendre une douche et ça tombe bien parce que le Zénith est soudain désert (la sécurité est probablement partie manger des kebabs en laissant tout ouvert et tout allumé). C'est alors qu'elle entend du bruit et sort sans s'essuyer ni passer une tenue descente. L’instant d’après, elle a un rapport sexuel sado-maso dans ET avec une Cadillac qui lui faisait des appels de phares. Elle jouit, probablement en s’empalant sur le levier de vitesse (mais on ne voit pas tout). C’est quoi cette histoire ?


Je ne vais pas vous résumer Titane et spoiler... Vous avez compris que si vous comptez voir un film, un conte, vous avez tout faux. Est-ce qu’on demande à Dali la logique de ses éléphants aux pattes arachnéennes ? Déposez votre cerveau de cartésien à l’entrée, laissez de côté les structures toutes faites, attendez-vous à voir un ovni. Je ne sais pas si c’est un bel ovni, car je sors de la salle assez mitigé avec le besoin de laisser décanter cette expérience, preuve au moins qu’il y a une matière noble en suspension…


J’ai mis assez longtemps à rentrer dans le film. Je me suis vite lassé de procédés et des aboutissements attendus. J’y ai vu un film de poseur voulant faire son effet sur la Croisette. Puis le film ne cesse de vous dérouter et parfois de vous envouter. Et de ce point de vue, c’est réussi. Même imparfait en beaucoup de points, c’est un cycle d’attraction – répulsion qui opère. J’ai mis assez longtemps à rentrer dans le film et tout autant à en sortir. Il y a une forte rémanence des images et de l’état émotionnel dans lequel cette expérience nous plonge. Le film imprime sa marque, sans en avoir l’air.


Quand j'en reviens à mes critères d'évaluation, la proposition coche pas mal de cases...


DONNER À VOIR. Il y a un spectacle servi par une jolie photo très pop et des images léchées, très stylisées. Il y a un point de vue. Des cadres. Des idées. Parfois cela chante à l’œil, parfois cela le révulse. Certaines images resteront probablement gravées dans notre cortex. Le film offre à voir différentes arènes, plusieurs groupes sociaux, plusieurs milieux, tous symboliques. Et surtout, des corps, du mouvement, puisque c’est son sujet. Il emprunte aux codes de différents genres, bref, il est riche. Les acteurs sont assez éblouissants, Lindon en tête.


DONNER À RESSENTIR. Oui, j’ai vécu des émotions différentes, y compris l’ennui, le dégoût et l’incompréhension, la confusion, l'agacement. Mais aussi le rire, la surprise et dans une faible mesure l’angoisse. J’ai été ému à mon cerveau défendant. J’ai été plongé dans un maelstrom de sentiments qu’on ne saurait vraiment examiner à la loupe et qui implique que je prenne 48h pour savoir quoi penser du film.


DONNER À COMPRENDRE. Le film retourne le cerveau, interroge nos attentes, notre place. Bien sûr, il pose la question du genre et de l’identité (sur le fond comme sur la forme), il joue de la monstruosité. Que vous voyiez à la fin une morale simple ou complexe, le film vous posera question. L’intrigue est simpliste, mais du fait de la forte virtualité des motivations, des sentiments, l’interprétation est difficile. Et derrière ce parcours confus, une tension s’instaure pourtant à bas bruit.


Alors qu’est-ce qui ne fonctionne pas ? L’implication dans le récit, sans doute parce que l’empathie ou l’identification arrivent tard, du fait de l’hermétisme du sujet. L’héroïne reste une énigme, elle est une machine et il est difficile d’être ému ou transporté par ce genre de personnage. Il existe également des « sas de décompression » qui me font ressortir du film. Peut-être y a-t-il une part trop interprétative où votre cerveau prend le pas sur le reste ? Si l'on fait son affaire de la vraisemblance, pour autant, la logique des personnages, la lisibilité peuvent faire défaut. Au point de nous laisser indifférents, avec un sentiment de frustration. Sans doute aussi parce que la réalisatrice est peut-être trop démonstrative, trop amoureuse du fait de filmer. Est-on parfois dans un clip ? La stylisation étouffe la vigueur du récit. Elle dilue l'émotion.


Je ne pense pas que Titane reste dans mon panthéon de cinéma, celui de mes films de cœur… Le temps le dira, après tout ! Mais ce qu’il y a de certain, c’est qu’il mérite une place à part, la place des expériences singulières, des phénomènes auxquels on est content d’avoir pu assister en salle.

AntoineCupial
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le 20 juil. 2021

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Antoine Cupial

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