-Film d'auteur Allemand de Maren Ade. Revisionnage, et, sans surprise, c'est meilleur que dans mon souvenir. J'ai pris deux jours à regarder ce film, je ne regarde jamais les films d'une traite (ils perdent de leur goût ainsi), il faut savourer les images, et je les ai bien bien savourées que je dois dire. Un des plus beaux films de la décennie 2010 sans conteste, mais parlons-en un peu de ce film très bizarre, savourons-le par le texte...


-Non seulement ce film prouve que le cinéma est une affaire de contrastes, mais en plus il est un des films récents où ce contraste est le plus clair, le plus évident : Le contraste entre d'une part le personnage du père, farceur, simple, chaleureux, attachant, souriant, que rien ne vient jamais embêter dans la vie; et de l'autre le personnage de sa fille, froide, sérieuse, travailleuse, visage fermé (on dirait le personnage principal d'un film de Dardenne ou de Kechiche ou de Lapid ou de gens comme ça), complètement frigide spirituellement, avec une espèce de vie complètement carrée d'où pas un pet ne peut échapper (on la voit faire des feedback à son assistante, obligée elle-même de recevoir des feedback), enchaînée dans un système clos, bien qu'il semble pourtant ouvert à première vue : Ines est libérée sexuellement, elle prend de la cocaine et va en club avec ses amis. C'est on ne peut plus clair, le père est le CONTRAIRE absolu de sa fille. Ce contraste fait le film : Le père regarde sa fille de façon ironique, la fille regarde son père de façon ironique, deux visions s'opposent, et la réalisatrice fait le choix de se mettre du côté du père, elle tranche de façon claire et net. Le film est courageux, car il est accablant pour le personnage de la fille et ce qu'il représente de façon consciente et inconsciente dans l'imaginaire collectif.


-Le film est une des plus belles critiques de la société contemporaine, parce que, de 1, il pose les problèmes, de 2, il apporte des solutions. Les deux. Il ne se contente pas de poser des problèmes comme on pose des bombes et puis déguerpir à toute allure, comme le font 90% des cinéastes, non, il les résout ! La solution proposée : Le personnage du père, évidemment, Toni erdmann, la simplicité même !


-Si le film est très beau, on notera aussi qu'il est très crû. Il n'y'a pas une seule "image belle", tout est hyper-concret, on ne peut plus concret. Ce jumelage de la grandeur et de la petitesse (crudité) est le signe-même (l'unique signe d'ailleurs) du bon film, car il crée une union entre les deux pôles opposés de n'importe quel être-humain, le pôle sûr de soi d'un côté (ce que dit le film) et le pôle foufou et animal de l'autre (le filmage moderne du film). Il y'a les deux dans ce film : C'est un bon film.


-Le film est truffé de trouvailles originales, on ne dirait pas car il a l'air monocorde comme ça, mais en fait il n'y'a pas un plan qui ne soit pas original. Quelques-unes : l'idée de présenter le personnage principal en le montrant directement dans une interaction avec un personnage complètement étranger (le livreur), ce qui fait que le spectateur peut juger le personnage de façon directe, sans faire attendre 30 minutes et une intrigue et bla bla bla... Une autre idée : A un moment, on voit le chien du père qui meurt, le père l'enterre, puis, le plan d'après, on le voit à la réception d'un hôtel en Roumanie entrain d'attendre sa fille, or, rien nous dit alors qu'il est en Roumanie, la réalisatrice a jumpé directement et c'est à nous de comprendre. Ou encore : Le personnage du père nous est montré entrain de quitter la Roumanie pour revenir en Allemagne, ils font bye-bye, la fille pleure, puis, scène où la fille raconte ce qui s'est passé à ses amies, et hop, le père réapparait, sans qu'on ne s'y attende parce que rien ne nous a été dit là encore, on pensait évidemment qu'il était parti. Mais aussi : Le dentier pour faire Toni erdmann. La scène de chant qui sort de nulle part. La fête nudiste aussi (qui a le bon goût d'arriver à la fin ! Si ça avait été dès le début du film ça aurait été stupidement provocateur et choquant pour le spectateur, tandis que comme ça vers la fin alors qu'on connait déjà tout le monde ça passe, ce n'est pas juste pour étonner/provoquer, mais ça a un sens profond). Ce sont des trouvailles de narration profondément originales et amusantes et qui ont un effet véritable quand on regarde le film, et même quand on le reregarde à nouveau.


-Cette direction d'acteurs voyons !!! Qui croirait que c'est du cinéma ? On jurerait que tout

ce qui est montré est complètement vrai, et pourtant, rien n'est vrai tout est construit...


-Une phrase du film, qui l'explique :

-Toni erdmann : "Vous aimez râper du fromage ?"

-Sa fille : "Je... Je n'ai pas vraiment le temps pour ça".

-Toni erdmann : "Ah, eh bien il faut être très relaxé pour savoir bien utiliser une râpe à fromage".


Voyez vous, le cinéma, c'est comme râper du fromage. Il faut être très relaxé pour bien en faire.

renardquif
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le 8 févr. 2023

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