Nous sommes dans le présent, où Paul rentre du Tadjikistan pour la France. En route, il est arrêté par la police, car il s’avère qu’un autre Paul Dédalus existe. Rien, en soi, d’exceptionnel, si ce n’est qu’il est né le même jour, au même endroit, et vit à Melbourne. C’est alors l’heure, pour Paul, de se rappeler, de raconter les raisons de ce dédoublement, et, au passage, de réécrire les grandes lignes de sa vie. Des grandes lignes qui se répartissent dans trois chapitres : l’enfance, avec la peur et le fantôme de la mère, puis le voyage en URSS, et, enfin, la jeunesse dans les années 80 et 90, qui englobera la grande majorité du film.
Restituer des souvenirs au cinéma permet de s’ouvrir de nombreuses perspectives et, également, d’opter pour des parti pris parfois radicaux. On peut, simplement, effectuer un flashback préalablement indiqué, sans effet de style ou, comme Tarkovski le fit avec Le Miroir, mélanger ces souvenirs, les altérer, les rendre malléables et presque inaccessibles. Dans Trois souvenirs de ma jeunesse, Desplechin se situe quelque part entre ces deux extrêmes, évoquant ces souvenirs de manière assez classique et explicite mais, surtout, en cherchant avant tout à les rendre vivants et à les relier au présent. On écrit une lettre en la dictant en regardant la caméra, on les manipule, on y intègre des éléments plus ou moins imaginaires… Trois souvenirs de ma jeunesse se présente comme une remémoration poétique de l’existence, une réanimation du passé qui cherche à lui redonner vie.
Il est donc, dans le film de Desplechin, surtout question de souvenirs et de nostalgie. La nostalgie d’une jeunesse insouciante, celle des années 80, de la chute du mur de Berlin, une jeunesse qui ne se pose pas de question et pour laquelle tout est possible. Pourtant, la chute du mur affecte Paul, car elle lui rappelle son voyage en URSS, et cet événement relègue définitivement cette époque au passé. Et Trois souvenirs de ma jeunesse s’intéresse tout particulièrement à la persistance des souvenirs, principalement matérialisés par Esther et centrés autour d’elle. Elle est l’image d’un amour opportun, passionné, platonique, torturé, conflictuel, elle est la somme de tous les amours, et le ciment de ce qui constitue la personne de Paul. Desplechin ne cherche pas à systématiquement répondre aux attentes du spectateur mais, pourtant, il parvient à le toucher grâce à la justesse avec laquelle il décrit les sentiments, au naturel de ses acteurs et à leur spontanéité. A ce jeu, Quentin Dolmaire est probablement le plus impressionnant, campant un jeune Paul plein d’énergie et de perspicacité, aux lignes de dialogue savoureuses, pleines d’intelligence et de mordant.
Trois souvenirs de ma jeunesse capture avec justesse l’essence des souvenirs, ceux de l’amitié, de l’amour, des expériences, des souvenirs parfois épars, confus, éclatés, mais surtout diffus et intacts. C’est un film à l’écriture intelligente, sans que cette intelligence soit hautaine mais, au contraire, galvanisante et touchante. Une très belle histoire sur notre rapport au passé.
Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art