Dimanche dernier, au hasard de mes pérégrinations télévisuelles, je suis tombé sur l'annonce de la diffusion de ce film sur Arte. Plutôt intéressé par le sujet et convaincu par l'argumentaire de la chaîne, je me suis décidé à enregistrer l'œuvre de Claude Sautet (réalisateur dont je ne connaissais pas le nom alors que je venais de voir l'un de ses films quelques jours plus tôt ; il faut dire que je n'accorde que très rarement d'intérêt à ce genre de choses, préférant saisir les œuvres pour leur sujet - le film ne nous suggère-t-il pas que se raccrocher à des étiquettes serait une activité mortifère ? Ici, ma lecture du film risquerait d'avoir un effet de halo sur toutes les œuvres dudit réalisateur que je verrais ensuite). Hier soir, j'ai alors proposé à mes parents de le regarder. Si initialement personne ne voulait le voir, à la fin, tout le monde était heureux d'être resté.

Au départ pourtant, j'ai presque regretté ma proposition à cause de l'aspect un peu repoussant des films "anciens" (avec leur lent débit de parole et leur son insupportable pour le cerveau traitant les signaux sonores qu'il reçoit sous la forme d'une bouillie (bon, on est loin du mono des années 70)) . Mais, au fil des minutes, j'ai progressivement été happé par l'ambiance subtile du film. Ainsi, bien qu'il ne s'y passe pas grand chose et que le personnage principal soit d'une inexpressivité déconcertante, j'ai fini par ressentir de l'empathie et de la curiosité envers ce dernier. Pourquoi au fond ? Tout simplement parce qu'il me rappelait le triste drame liée à l'expression des sentiments. En ce sens, le film a fait écho en moi à deux nouvelles des Contes Cruels de Villiers de l'Isle Adam."Sentimentalisme" d'abord qui répond à cette remarque du personnage de Camille qui attribue à Stéphane une nature trop prompte à "l'auto-critique", ainsi, l'expression des sentiments et leur vécu (qui passe par la communication) est d'autant plus difficile qu'elle aspire à de la grandeur, au fameux "rêve" de la musique qui rythme le film. "L'inconnue" ensuite dans la mise en évidence de cette incapacité à communiquer le langage du cœur.

Le film laisse néanmoins la question de la réalité des sentiments du personnage en suspens. S'il se targue d'être dénué de capacités de cœur, recalant la belle Camille sans montrer le moindre signe de tristesse et euthanasiant son ami toujours avec le même visage, certaines scènes où le personnage observe à distance les autres, tapi dans l'ombre semble avoir un effet subtil sur les traits du personnage. Ainsi, beaucoup de scènes entre d'autres personnages peuvent revêtir un aspect symbolique, illustrant parfois les craintes (ou au contraire ses aspirations) profondes de Stéphane (par le décalage entre l'absolu et le réel). En médicine, le syndrome d'enfermement correspond à un état où le patient est comme enfermé dans son propre corps, conscient mais immobile. Dans "Un cœur en hiver", c'est un homme qui serait enfermé dans on existence vue comme une cage immuable née d'une identité aliénatrice.

Mais au delà de cet aspect symbolique potentiel et de l'espoir romantique qui voudrait qu'il existe un poète caché derrière le visage inexpressif de Stéphane, il y a aussi tout le premier degré, celui de l'observation pure et simple qui joue presque son rôle d'antithèse. Au fond, peut-être que Stéphane est simplement un pauvre mec inexpressif et dénué de sentiments, comme ses automates qu'il construit, ce que l'on pourrait entendre quand il déclare après la mort de son ami "la seule personne que je croyais aimer" (phrase très ambiguë dans le contexte : cela peut-il dire qu'il en aime également une autre (son interlocutrice ?) ou que finalement il n'aimait effectivement personne ?).
Dans cette hésitation, le spectateur n'ose pas choisir entre la vision romantique d'Emanuelle Béart (qui veut voir en Stéphane un prince qu'il ne serait pas) et l'explication décadentiste de Daniel Auteuil (démystifiant le fond psychologique à l'origine de ses actes et de ses attitudes) ; on a là peut-être toute la beauté du film. N'est-ce pas là toute la problématique du fameux Désenchantement occidental ?

Alors, poète maudit ou homme banal et vide de sentiments ? Au final, la question reste ouverte et illustre même un débat qui a pu avoir eu lieu en nous (en moi en tous cas) au sujet de nous-même. Quelle que soit la réponse à cette interrogation, si elle existe, Claude Sautet signe ici une œuvre subtile et élégante. Portée par la musique de Ravel et par des acteurs assez brillants pour cristalliser toute l'ambivalence du scénario, cette œuvre mélancolique et sublime, à la fois raffinée et simple, a tout d'un petit chef d'œuvre aux relents décadentistes qui, au delà de son cadre très intimiste, interroge peut-être les fondements de la modernité.
Foulcher
8
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Créée

le 29 avr. 2014

Modifiée

le 30 avr. 2014

Critique lue 712 fois

Foulcher

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