UN JOUR DANS LA VIE DE BILLY LYNN (13,4) (Ang Lee, USA, 2017, 113min) :


Cette chronique moderne se penche sur le traitement médiatique américain vis-à-vis de leurs soldats, dont Billy Lynn jeune texan au caractère difficile, engagé dans l’armée et honoré par l’administration Bush entre deux missions en Irak en 2004, après un acte « héroïque » selon ses compatriotes. Découvert en 1993 dans notre pays avec « Garçon d’honneur », le plus célèbre réalisateur taïwanais (Tigre et Dragon, Le secret de Brockeback Mountain, Lust Caution) revient presque 5 ans après l’expérience réussie de la 3D « L’odyssée de Pi » (2012) avec un nouveau projet technologiquement innovant. En effet l’adaptation du roman Fin de mi-temps pour le soldat Billy Lynn de Ben Fountain paru en 2012 repose sur un tournage inédit avec des caméras Sony F65 permettant une image numériquement immersive d’être filmé en 4K 3D et en HFR à 120 images seconde. La « meilleur expérience en 3D de leur vie » rapportent les quelques privilégiés qui ont pu savourer le film dans ce format original. Malheureusement au pays où le cinéma a été inventé aucune salle ne permet de diffuser l’œuvre sous cet aspect technologique, perdant ainsi un atout majeur car la construction du récit se fait autour de ce concept technique. En effet le dispositif de mise en scène en adoptant le point de vue de Billyn Lynn se veut totalement immersif et invite à nous plonger dans le cerveau traumatique du jeune soldat. Le réalisateur utilise par exemple de très nombreux champs contre-champs en faisant régulièrement des gros plans sur les interlocuteurs de Billy Lynn pour accentuer l’impression que quelque part ils s’adressent à nous. Ang Lee se frotte au storytelling dont l’Amérique raffole, un jeune soldat dont l’acte de bravoure de sauver sous les tirs ennemis son sergent a été filmé et diffusé dans tout le pays se voit rapatrié avec son régiment surnommé « Bravo » dans le pays pour être fêter en héros lors d’une mi-temps d’un match de gala de foot américain organisé par la NFL lors de Thanksgiving. « Ton histoire ne t’appartient pas. Elle appartient à l’Amérique » lance-t-on comme une réalité à la conscience du héros. Tout le film se découle lentement (presque en temps réel car l’action se concentre essentiellement pendant le match) et distille par le biais de flashbacks assez judicieux de plus en plus longs nous fournissant de nombreuses informations explicatives et sensorielles sur les traumatismes de ces soldats. Ce qui aurait dû être un répit entre deux missions en Irak sous la caméra critique d’Ang Lee s’avère presque plus pénible à supporter que le conflit armé sur le terrain du conflit. Cette célébration met en lumière le show et l’effroi. Dans le dos de ces jeunes hommes non déshumanisés s’organisent par le biais de producteurs télé et patron du club de foot U.S une parade qui va devenir complètement grotesque. Un sommet de bravoure visuel éblouissant pour dénoncer le mauvais goût et la fascination grotesque de l’Amérique envers ces destins -là, ou la vraie "fausse" Beyoncé (que l'on ne voit que de dos) avec Destiny’s Childs chantent Soldier sous un déluge pyrotechnique de feux d’artifices assourdissants qui ramène de façon sonore et charnel à des explosions moins artificiels vécues en Irak par le héros chancelant lors cette mise en scène grotesque où Billy Lynn revoir dans un zapping d’images toutes ses blessures intimes et familiales. Une auscultation du choc post traumatique pas inédite dans le cinéma, nombre de film traite de ce sujet mais qui de façon (trop) bavarde fustige comme rarement cette société d’entertainment permanent trouvant son paroxysme patriotique sous le drapeau américain toujours en quête de foi. Cet aspect-là nous suggère dans le même esprit Starship Troopers (1997) de Paul Verhoeven boudé lui aussi à sa sortie et dont l’acuité fait référence aujourd’hui. Comme un vrai visionnaire Ang Lee nous propose sans stylisation et non sans certaine saillies humoristiques et caustiques ce que l’on peut considérer comme le véritable premier film de l’ère Trump. Malheureusement cette critique acerbe « Les américains sont une nation d’enfants » déjà exploitée au cinéma et qui ausculte la distorsion de la réalité par une nation s’avère inaboutie. Le film derrière cette inédite démonstration manque tout de même de profondeur psychologique et l’aspérité acerbe se transforme même d’une certaine manière assez consensuelle à la fin du long métrage. Le montage très découpé, avec de nombreuses insertions, s’articule avec pertinence, mais la narration évolue seulement par petites touches et l’enjeu se déploie parfois superficiellement. Le réalisateur perd de sa puissance parabolique avec de mini-intrigues : comme le coup de foudre du héros avec une cheerleaders ou une négociation humiliante sur les rémunérations des droits touchés au cas où un film se ferait sur l’épisode héroïque vécu par Lynn et ses compagnons de guerre. La relation avec la sœur (incarnée avec émotions par une Kristen Stewart) prête à tout pour « sauver » son frère apporte certainement les moments les plus sincères au milieu de ce télescopage d’images vertigineuses. Derrière le phare de la technologie, cette œuvre illustre plus avec brillance qu’elle n’illumine nos consciences au-delà de la dénonciation des dérives de cette nation, dont le patriotisme scintille autant dans les yeux de Faison Zorn (la cheerleaders amoureuse) que dans le cœur des spectateurs du stade pris en flag d’amour immodéré du drapeau étoilé. Le casting est plutôt convaincant avec la révélation Joe Alwyn (Billy Lynn), l’habité Garett Hedlund et l’étonnant Vin Diesel, assez attachant malgré un côté un peu lourdaud. Le reste de la troupe s’en sort également avec justesse. Alors tentez l’expérience de vous immiscer ne serait-ce qu’Un jour dans la vie de Billy Lynn. Séduisant, inégal, sensitif et un peu décevant.

seb2046
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le 1 févr. 2017

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