La police frappe, blesse et mutile ! Le sang du peuple coule dans nos rues dans l'indifférence médiatique générale. Des manifestants non armés, mains levées, se font tabasser à terre. Des militants se font crever les yeux et arracher les mains par des grenades et des LBD.


Ces images s'ancrent en nous à jamais. Comment être insensible quand dans nos oreilles entre un hurlement de douleur effroyable. Un homme se tient le visage, le sang de son orbite mutilée coule entre ses doigts. Il crie. Il rampe à la recherche de son œil. Il crie tellement fort. Son corps n'est animé que par l'énergie de la douleur et du désespoir. Il crie, il crie, il crie... la souffrance est sans fin. Pour un autre, allongé dans la rue, c'est le sang de sa tête frappée par un éclat de grenade qui s'écoule lentement sur les pavés sous les regards désintéressés des forces "de l'ordre". Pour un autre, c'est sa joue qui est percée. Et ça continue... encore et encore. C'est notre police, censé nous protéger, qui a fait ça !


Ce qui m'interpelle c'est à quel point la puissance du cinéma nous révèle l'horreur de ces images. Ces vidéos, qui d'habitude circulent en nombre sur les réseaux sociaux, nous sont de plus en plus habituelles et communes ; tellement qu'elles en deviennent presque blasantes. Ce constat est effrayant. Nous avons encore besoin du cinéma, de son dispositif, de son montage et de son recul pour que nous soit de nouveau révélée l'horreur du réel.


David Dufresne ne s'est heureusement pas arrêté à montrer ses images, à jouer sur les émotions de révolte et de haine qui nous colonisent au fur et à mesure. Il les fait analyser par des historiens, sociologues, écrivains, journalistes, syndicalistes, policiers, gilets jaunes, manifestants, etc. À partir d'une phrase de Max Weber "L’État revendique pour son propre compte le monopole de la violence physique légitime" tous vont débattre de ce qu'est le pouvoir, la violence, la police, etc. Comment, dans un état de droit, dans une république démocratique, la police peut être légitime à faire ça ?


L'autre intelligence du film est de ne dévoiler les identités des intervenants qu'à la fin. Nous ne sommes donc pas amené à prendre partie en fonction des positions de chacun, mais en fonction des discours. Seuls eux sont importants et nous permettent d'évaluer la pertinence de l'ensemble des propos en dehors des considérations partisanes habituelles.


Il sera, bien sûr, reproché à Dufresne d'avoir effectué un montage qui va dans son sens, ne prenant que les arguments les plus caricaturaux des adversaires mais nombre de représentants de la police et de l'état n'ont pas pu ou voulu intervenir. Puis, comment défendre l'indéfendable ? Même le syndicaliste d'Alliance voulant courageusement défendre ses collègues se retrouve piégé entre le marteau de la raison et l'enclume du discours institutionnel.


Comme nous l'expliquent Marhilde Larrère, la violence est politique. C'est le fruit de constructions sociales qu'il faut décrire, analyser et interpréter. Sans déresponsabiliser chaque protagoniste, ce point de vue nous permet de comprendre l'engrenage sociale des violences, leurs ritualisations et le rôle de chacun des rouages.


Chaque citoyen de ce pays devrait voir ce film, même quitte à être en total désaccord avec ce qui est dit et montré. Mais le débat sur les violences policières se doit de prendre plus d'ampleur, de sortir des plateaux télé où il est délégitimé et ridiculisé. Il doit être détaché des objectifs militants afin d'être discuté en profondeur. Mais surtout, il doit devenir citoyen afin de lutter contre, afin que nous et nos proches, mais aussi nos adversaires politiques, puissent continuer à manifester et à s'exprimer sans que des mains ou des yeux ne viennent entacher les pavés de la République, de la démocratie et de la liberté.

-Versus
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Les meilleurs films de 2020

Créée

le 4 oct. 2020

Critique lue 238 fois

4 j'aime

-Versus

Écrit par

Critique lue 238 fois

4

D'autres avis sur Un pays qui se tient sage

Un pays qui se tient sage
tmt
4

Critique de Un pays qui se tient sage par tmt

Ça m’embête de laisser un avis très critique de ce film, parce que c'est évidemment un sujet très important et que David Dufresne a réalisé un énorme travail d'archive indispensable... mais je dois...

Par

le 10 oct. 2020

39 j'aime

2

Un pays qui se tient sage
Cmd
8

Les larmes de l'intérieur

Avec fracas et la boule au ventre. Les gens hurlent, les grenades explosent et les lacrymos brulent les yeux. Tu te raidis dans ton siège. La qualité de l'enregistrement médiocre, le téléphone...

Par

le 17 sept. 2020

27 j'aime

Un pays qui se tient sage
Behind_the_Mask
4

Sing for absolution

En 2015, après le Bataclan, même Renaud chantait qu'il avait embrassé un flic. C'est dire si on les aimait, nos forces de l'ordre... Sauf qu'à peine trois ans plus tard, nos flics, on dit que ce sont...

le 13 oct. 2020

21 j'aime

21

Du même critique

Pirates des Caraïbes - La vengeance de Salazar
-Versus
3

Les businessmans ne racontent pas d’histoires

Jack Sparrow désormais sans équipage se sépare de son fameux compas magique lors d’une nuit d’ivresse, libérant ainsi Salazar et son équipage de fantômes calcinés (ne me demandez pas pourquoi je suis...

le 29 sept. 2017

10 j'aime

1

La Fabrique de l'ignorance
-Versus
5

Une fabrique de l'ignorant ?

J'ai un gros doute sur ce documentaire ARTE (chaîne qui n'est pas toujours un synonyme de qualité). Tout d'abord je tiens à dire que je n'ai pratiquement aucune connaissance des sujets traités mis à...

le 14 mars 2021

7 j'aime

1

Superman : Red Son
-Versus
4

Dictature League

Alors que la guerre froide bat son plein, Staline révèle sa nouvelle arme : un extraterrestre au pouvoir extraordinaire nommé Superman. En face les États-Unis doivent préparer leur défense. Le...

le 6 mai 2020

7 j'aime