Ne dérogeant pas à la « prédiction » que constituait l’excellent Good Time, Uncut Gems vaut amplement son statut de divertissement électrique : un constat repris en cœur par tout un chacun, mais tous ces signes avant-coureurs ne risquaient-ils pas d’en atténuer l’impact ? Bien au contraire, la tendance serait plutôt à l’euphémisme en bonne et due forme, les frangins Safdie repoussant les limites du film coup de poing sans jamais se départager de leur signature.


De fait, l’effet est tel qu’Uncut Gems confine à l’inconfort, si ce n’est carrément la suffocation : brouhaha polymorphe continu, le fol périple de Howard Ratner ne désemplit pour ainsi dire jamais, ses brèves accalmies bouillonnant de manière perceptible… point de trêves ! Cette propension au vacarme ambiant dénote alors par sa versatilité, car à même d'habiter tout type de cadre : les premiers pas de son protagoniste, pourtant dénués de la tension à venir, tiennent de la cacophonie étourdissante, tandis que, sans surprise, ses nombreux crescendo futurs seront du même acabit.


Mécaniquement immersif, le long-métrage est dès lors éreintant, un sentiment appuyé par la bande-originale de Oneohtrix Point Never (aussi connu sous le nom de Daniel Lopatin), elle qui alimente à n’en plus finir une atmosphère sursaturée : forcément, la mise en scène hyperactive des Safdie traduit cet état de fait, d’autant que la photographie et la direction artistique dans son ensemble ne lésinent pas sur le « flashy ». Sorte de débauche (grossièrement) maîtrisée sous amphétamine, tout un paradoxe au demeurant, Uncut Gems a donc pour mérite premier de constituer une proposition de cinéma à part entière… aussi particulière soit-elle.


Qui plus est, figure de proue d’une distribution des plus efficaces, Adam Sandler n’aura pas simplement remplacé Jonah Hill : il se sera sublimé. Sans céder aux sirènes de l’acclamation unilatérale, sans garde-fous, il faut en ce sens convenir que ce grand habitué des comédies bas du front sait être crédible, pour ne pas dire carrément formidable : car si nous pourrions débattre du personnage en tant que tel, il est évident que son interprète n’aura pas fait les choses à moitié, son jeu jusqu’au-boutiste se faisant l’écho, l’incarnation rêvée d’un film lui-même extrême dans sa démarche.


Néanmoins, car il y a bien plus d’un mais, Uncut Gems paye le prix de son trop-plein d’énergie : non pas que le procédé soit redondant, mais disons que celui-ci finit par déteindre sur tout le reste. Faisant abstraction de la « marginalité » de Howard, le portrait n’est pas crédible dans sa totalité, loin de là : imprévisible, menteur et infidèle, ce dernier est si peu fiable que nous sommes bien en peine de comprendre sa réussite, les sentiments de Laura etc. Lâché sans harnais dans cet univers de magouilles, bijoux et dettes insolvables, le spectateur doit ainsi composer avec l’instabilité chronique de ce fan haut en couleurs des Knicks, lui-même assujetti aux « aléas » d’une semaine pas comme les autres.


C’est d’ailleurs là que, peut-être, le récit pèche le plus : la plupart de ses ressorts reposent soit sur des coups du sort cruels, soit sur la propre bêtise de son anti-héros, soit le mariage (logique) des deux. Le procédé paraît ainsi souvent forcé, Uncut Gems ne rechignant jamais à plonger toujours plus bas que terre Howard, quitte à virer peu à peu au prévisible ; fort heureusement, le sous-texte dédié à la superstition, la chance et le lâcher-prise légitime certainement cet enchevêtrement de choix et leurs conséquences, qu’elles soient directes ou non.


C’est dans cet ordre d’idée que, alors que nous pouvions craindre que le long-métrage nous perde en chemin, celui-ci nous ferre étonnamment dans sa dernière ligne droite : ce segment toujours plus incertain nous hypnotise au même titre que ses acteurs… capitalisant pour le meilleur sur son contexte sportif, Uncut Gems nous gagne à sa cause : celle d’une folie communicative qui brouille la frontière entre la raison et l’invraisemblable. Permettant, ultimement, d’enrober son dénouement d’une saveur impromptue, d’une ironie amère comme mordante, d’un sentiment de vacuité se faisant le miroir d’une dernière hallucination cosmique.


Au petit jeu de la comparaison, Good Time l’emporte donc, toutefois le parallèle est plus intéressant à l’aune de leurs protagonistes respectifs : car là où l’empathie qu’inspirait Connie s’évaporait à mi-parcours, Howard inverse le processus en nous laissant d’abord sceptiques, presque indifférents à son sort. Comme évoqué plus haut, tel le fruit de notre communion avec son portrait délirant, notre impression va changer du tout au tout au gré de son dernier pari « gagnant », marque d’une courte mais véritable sympathie clôturant de la meilleure des manières Uncut Gems. Sacrée expérience en somme.

NiERONiMO
7
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le 28 oct. 2020

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NiERONiMO

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