[Critique initialement publiée sur CinemaClubFR]


Pour David Robert Mitchell, 2015 aura été l’année de la consécration, à l’aide d’un petit film indépendant (son second) qui allait tout rafler sur son passage : It Follows. Succès critique retentissant, florilège de prix dans le monde entier, It Follows peut d’ores-et-déjà être qualifié de film culte pour les générations à venir. Inutile de dire que pour son nouveau projet, mystérieusement nommé Under The Silver Lake, la pression était au-delà du raisonnable pour le jeune réalisateur. Malheureusement, lui-même n’aura pas été capable de la surmonter.


Si nous pouvons féliciter à David Robert Mitchell une chose en premier lieu, c’est bien celle de vouloir proposer quelque chose de radicalement différent de son précédent film, tout en restant dans son héritage. Alors qu’il aurait très bien pu jouer la facilité et rester dans le domaine de horreur sous influence Carpenter-ienne, le réalisateur a au contraire décidé de voguer vers des eaux nouvelles, en l’occurrence ici le thriller à mi-chemin entre intrigue à la Hitchcock et univers de stoner-movie mêlé à de la paranoïa à grande échelle digne d’un film de Gregg Araki.


Néanmoins, et contre toute attente, c’est très justement ce mélange d’influences plus qu’éloignées qui ruine complètement le long-métrage ainsi que sa cohérence, tout du moins d’un point de vue scénaristique. Ce qui commence alors comme une simple recherche d’une jeune femme disparue sans laisser de traces (Riley Keough) par un jeune homme qui l’a rencontrée au détour d’une soirée (Andrew Garfield) va finir par se perdre dans un étalage de sous-intrigues et autres fausses pistes inutiles, très souvent incomplètes et surtout inconsistantes, surtout pour un long-métrage qui avoisine les 2h20.


Entre théories du complot, délires psychotiques à base de femme chouette tueuse d’hommes, compositeur de musique tout puissant, métaphore (très) appuyée de l’éveil sexuel ou encore chevalier menant vers des bunkers anti-atomiques (oui), le spectateur se retrouve aussi perdu que Andrew Garfield mais pour de mauvaises raisons, à tel point qu’une fois le film fini, on se demande le plus sincèrement du monde si l’on a bien compris tous les tenants et aboutissants de l’intrigue. Et la réponse est clairement non. Pourtant, ce n’est pas faute de parfaitement visualiser la volonté de David Robert Mitchell derrière cet amas d’informations, à savoir questionner notre lien face à la pop-culture, plus particulièrement celle de la Californie des années 90, tout en proposant une intrigue très proche des comic-books et fanzines de cette époque. Mais hélas, à force de trop vouloir aller dans l’absurde à tout prix, celui-ci efface toute dramaturgie à l’intrigue, notamment quant au personnage principal, dont on ne comprend que très peu certains agissements, presque voués à le rendre antipathique.


Cependant, c’est tout l’aspect visuel qui demeure la seule véritable réussite de Under The Silver Lake. La photographie tout simplement monstrueuse de Mike Gioulakis, alliant couleurs très vives et usage intensif de courtes focales, renforce immensément cet esprit « bande-dessinée vivante » qui parcourt toute l’atmosphère du récit. Cette photographie répond d’ailleurs parfaitement à l’énorme effort apporté à la direction artistique en général. Chaque décor nous décolle la rétine et nous plonge dans un Los Angeles complètement déluré et haut-en-couleurs, appuyant cette impression de monde à part. Enfin, plus étonnant, si certaines réminiscences héritées de It Follows sont percevables par instant, David Robert Mitchell délaisse ses lents travellings caractéristiques pour beaucoup plus de dynamisme, de sorte à fidèlement retranscrire la folie visuelle qui entoure l’univers du film.


Mais comme très souvent, la réussite visuelle ne suffit pas à rattraper les trop grosses lacunes de l’ensemble, ce qui fait l’on ressort de la salle profondément troublé, partagé entre la déception d’un scénario si prometteur mais bâclé et le sentiment que le film ne brille que par sa mise en scène. A l’arrivée, Under The Silver Lake nous laisse avec un goût extrêmement mitigé. Celle d’un réalisateur qui, armé de toutes les plus belles intentions du monde, a voulu proposer un parfait hommage à la culture de son enfance mais qui finit par se perdre dans ce melting-pot d’idées pour la plupart non développées. A l’inverse d’un David Lynch qui, avec Mulholland Drive, arrivait à créer une histoire dans l’enfer Hollywoodien décousue tout en offrant les clés afin de la comprendre au bout de moult visionnages, David Robert Mitchell a malheureusement décidé de maintenir la porte close.

TanguyRenault
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le 22 mai 2018

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Tanguy Renault

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