Plaisir et limites de la gratuité et de la référence

[Remarques générales. Je n'ai pas envie de juger et noter des films que je n'ai vus qu'une fois, souvent avec peu de connaissance du contexte de production. Je note donc 5 par défaut, et 10 ou 1 en cas de coup de cœur ou si le film m'a particulièrement énervé. Ma « critique » liste et analyse plutôt les éléments qui m'ont (dé)plu, interpellé, fait réfléchir, ému, etc. Attention, tout ceci sans égard pour les spoilers !]


Under the Silver Lake m'a fait un effet curieux. J'ai passé un très bon moment devant ce film, je me suis bien amusé, mais une fois la séance finie, je me contente de ce moment de divertissement. Je suis passé à autre chose, je n'attends pas spécialement les prochains films du réalisateur et scénariste (David Robert Mitchell), y repenser n'enrichit guère mon souvenir du visionnage.


(Certes, j'ai été obligé pour profiter du film d'éteindre mon habituelle lecture politique au niveau représentations, Under the Silver Lake, cas d'école de male gaze, cochant toutes les cases de représentations sexistes (et pas seulement). C'est quand même l'histoire d'un type pas très intéressant (pas spécialement beau, désargenté, plongé dans une quête bizarre, vaguement dépressif) entouré de meufs-très-canon en tenues élaborées ou extravagantes, qui les reluque (de concert avec la caméra qui cadre volontiers des mini-jupes en gros plan), les espionne, et, bien qu'il débarque en pyjama dans des soirées chic et sente, littéralement, le putois, toutes tombent à ses pieds (forcément, c'est le personnage principal) - telle son amie qui lui rend visite essentiellement pour se faire sauter, chaque jour dans une tenue sexy différente (eh oui, elle va à des auditions). Ajoutons à cela le fait que les quelques personnages masculins au milieu d'un vaste casting jeune féminin tiennent l'immense majorité des dialogues, ou encore la révélation finale sur les hommes-puissants-c'est-à-dire-riches qui s'enterrent dans des bunker avec trois jeunes premières pour accéder à un au-delà...)


Ce qui m'a plu dans Under the Silver Lake, c'est son intrigue invraisemblable mais gratifiante, une intrigue qui rejette les codes de la vraisemblance, de manière totalement assumée, pour construire une quête improbable - une quête qui m'a fait penser à un jeu vidéo. En effet, tous les éléments que rencontre le personnage principal, Sam (Andrew Garfield), finissent par resservir, se combiner adéquatement, le conduisant de niveau en niveau, certains restant dans ses poches (le livre de code des vagabonds...), avec même quelques boss (le Compositeur...). Sam est un personnage conspirationniste, qui voudrait voir des signes partout, et le scénario lui offre, cadeau que j'ai également apprécié, que ce réseau de signes existe effectivement en dépit du bon sens, et le conduise à une résolution non moins absurde. (Le tout à base de pop culture, ce qui ne suscite pas grand-chose en moi qui m'y sens peu rattaché.) Il y aurait sans doute une exégèse intéressante à faire sur cette figure complotiste, en rapport avec la tendance à la hausse des théories du complot et leur représentation...
Il y a aussi une certaine gratuité, elle aussi gratifiante, dans beaucoup de la création des décors, costumes, ou de certaines scènes. La chute mortelle de l'écureuil en tout début de film en est un bon exemple : on peut y voir une sorte de mauvais présage, mais elle a surtout produit sur moi un effet à mi-chemin entre le jump scare et le gag, appréciable pour soi et indépendamment du reste du film.


Au passage, je m'étonne que Under the Silver Lake soit tant comparé avec Mulholland Drive. Même si le film rend hommage à David Lynch (et à beaucoup d'autres, les références cinématographiques abondant autant que celles à la pop culture - les traquer peut m'amuser dans un film que j'ai aimé pour lui-même, mais d'une manière générale la course à la référence m'intéresse peu), même s'il donne un rôle à Patrick Fishler qui y jouait dans la fameuse diner scene, même s'il se passe à Hollywood (recette classique pour gagner quelques prix)... Je trouve l'univers, les thèmes, les personnages... de David Robert Mitchell très différents de ceux de Lynch. Ne serait-ce que parce que, chez Lynch, bien que les situations et personnages puissent être très absurdes, les histoires ne le sont jamais, contrairement à celle de Under the Silver Lake. Bref, c'est quelque chose que je me dis assez souvent au cinéma, l'impression de voir des hommages et références qui ne produisent guère de sens en tant que tels, ni n'apportent au film lui-même parce que l'auteur-rice se serait réapproprié des techniques d'un-e autre, et finalement ne créent qu'un effet de reconnaissance pour celleux qui partagent ces références. Il est amusant pour l'amateur de Lynch que je suis de repérer ces hommages, de même que la présence de la pop culture ou des autres hommages cinématographiques doit être plaisante pour quelqu'un qui a grandi entouré-e de pop culture, mais mon enthousiasme reste modéré dans la mesure où cela ne va pas plus loin.

Rometach
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le 5 juin 2018

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