Le film fait peur dès son premier plan par sa pesanteur molle qu'il semble affirmer haut et tout bas en même temps. C'est à un plan à la fois stupide, effrayant et incongru d'un écureuil qui livre un dernier souffle trop humain pour être raté involontairement que mon intérêt s'amorce.
Rythme lancinant, errance urbaine à la sauce des années actuelles, SPRING BREAKERS et INHERENT VICE me reviennent en tête. Films clivants, détestables ou adorables mais force de proposition. L'aspect libidineux de la mise en scène, qui prend un plaisir certain à adopter le point de vue de son personnage voyeur et un brin obsédé sexuel peut facilement agacer. Et pourtant peu-à-peu ça prend. Ça prend par cette musique en décalage avec ce personnage qu'on aurait plutôt vu traité de façon comique. La musique, qui en fera toujours un peu trop tout au long du film, volontairement bien sûr, prend des airs de Benard Hermann en même temps que l'image pellicule essaie de singer tout ce qui a fait le grand cinéma jusqu'au années 70 environ, film noir en tête. Une musique orchestrale, aux mélodies dissonantes, qui n'hésite pas sur le pompeux et le grandiloquent, nous raconte donc le vide de la vie de Sam, qui n'aime pas le monde et voudrait juste baiser la blonde d'en bas.
Dans cette ambiance chiadée à la Hitchcock, appliquée à décrire le désœuvrement et la paranoïa latente d'un type plutôt pathétique, cet écureuil ajoute une petite seconde de faux et d'absurde. Voilà le ton du film scellé.
Où mène-t-il, ce style étrange ? Dans les entrailles d'une ville, d'une époque et d'une culture. C'est la culture d'un homme de trente ans à Los Angeles, donc celle des premiers Mario, de Nirvana et de la BD underground local. Avec une photo très chiadée, et un point de vue unique jamais extériorisé, on passe de l'ennui à l'excitation sexuelle, du frisson auto-infligé au pur passage d'épouvante, dans une esthétique cohérente assez appréciable et qui parvient à ingérer le millier de références dont le réalisateur ne parvient pas à se détacher pour faire sa propre œuvre.
On arrive, avec un certain personnage pianiste, à un point culminant de tension paranoïaque et de doute quant à la perception de notre protagoniste. Paul Thomas Anderson rencontre David Lynch plusieurs fois. Mais là où l'un comme l'autre savent nous faire aimer notre perdition et notre ennui, John Cameron Mitchell pousse toujours plus loin et plus bas. Ainsi, on ne sait plus s'il doit y avoir une sortie à ce délire et le délire devient alors le réel propos du film. D'après ce pianiste, tous nos artistes de la pop-culture seraient sans talents. Scène ô combien onirique et parano, aboutissement d'un rêve éveillé, le pianiste ne mène pourtant nulle part qu'à la suite des pérégrinations à vide de Sam. Alors ce n'est pas un délire paranoïaque d'un obsédé désœuvré en mal de valorisation ? Alors les lectures hallucinées des symboles cachés multiples de cette culture, de ce bracelet, toutes ces coïncidences présentées comme les prémices d'une schizophrénie, tout ça est bien réel et univoque ? Et seul ce connard empoté sait décrypter le langage de notre chère et tendre culture populaire ?
Il est très dommage, alors qu'on s'est finalement laisser prendre par un mystère fantasmé mais amusant, de le voir dans ses trois derniers quarts d'heure se prendre au sérieux, s'enfoncer de plus en plus dans l'abscons et surtout, surtout, dans la lenteur lourde de celui qui a assez confiance dans le vide de son propos pour nous imposer des silences interminables entre chaque réplique. Le film affirme sur la fin son statut de chef-d'œuvre en ralentissant son rythme déjà bien plombé. La phrase philosophique de fin dure alors une demi-heure et se résume à un empilement de nihilisme. Nihilisme qu'on avait pourtant pu apprécier dans les deux premières heures par sa légèreté et sa tonalité particulière. Par cette absence de fin (que l'on attendait depuis longtemps), le film fait l'apologie de l'erreur, de la bêtise, du déni du réel et de la stagnation. Nihilisme obligatoire pour apprécier, donc.
UNDER THE SILVER LAKE est fichtrement intéressant. Le contraste entre le vide de la vie urbaine, ses lotissements, ses néons et le récit qui s'y installe en singeant les contes et les mythes est vraiment réussi. Le film maîtrise l'incongruité de cette association et en tire de l'originalité, du rire et de vrais sueurs froides. Mais il se permet de s'enfoncer dans le non-sens avec un sérieux disproportionné par rapport à la trivialité de son propos.
UNDER THE SILVER LAKE, c'est un épisode de South Park qui se prendrait langoureusement au sérieux pendant deux heures vingt. Quitte ou double, quoi.