Under the skin : errance et violence pour un film qui provoque les sens.

Scarlett Johanson, au volant de son van, cherche son chemin en Ecosse. Elle prend des hommes en stop. Ce qui se passe ensuite va vous épater.

Le bangbus version MOMA

Connaissez-vous le bangbus, cette formidable institution de l’internet ? Il s’agit d’une émission de divertissement pour adulte, où l’on voit trois personnes : un chauffeur, un camerama / interviewer, et un hardeur, prendre en stop une jeune demoiselle, afin de la séduire et de lui faire de gros câlins, avant de l’abandonner lâchement en sous-vêtements, une fois obtenu ce qu’ils étaient venu chercher.

La première partie d’Under the skin reprend exactement ce principe, mais avec Scarlett Johanson dans le rôle du prédateur.

On la voit tourner dans les rues, demander aux hommes s’ils sont célibataires et isolés, et si oui, elle les amène dans sa vieille maison pourrie, où une surprise les attend. Je ne vous la raconterai pas, car il ne se passe déjà pas grand chose, mais si vous avez vu la bande-annonce, vous avez une idée de ce dont je parle.

Cette première phase, qui doit bien occuper la moitié ou plus, est à dessein assez répétitive, puisqu’elle est censée décrire la routine d’un prédateur.

Par rapport au bangbus, les différences sont :

- Scarlett Johanson a besoin de beaucoup moins parler pour convaincre ses victimes. Ce qui montre que les hommes sont des proies faciles. Ce qui explique aussi pourquoi aucun homme ne s’est jamais plaint de harcèlement de rue.

- Jonathan Glazer s’intéresse beaucoup plus à la traque qu’au résultat:il filme l’errance, les rues mornes de l’Ecosse, les discothèques perdues le long des routes nationales. Il y a très peu de dialogue. On pense un peu au personnage de Keane de Lodge Kerrigan.

- Surtout, plus ça va, plus Scarlett prend des risques et provoque des situations bizarres. Elle se confronte à la foule, va à la plage (pour une scène horrible), rencontre un homme au visage difforme, dont elle ne percevra pas l’étrangeté.

Dans la forêt de Scarlett

Passé un moment, l’histoire va prendre une autre direction, et Scarlett quitte sa camionnette. S’en suit une étrange histoire d’amour muette, puis une rencontre avec un bûcheron pas très sympa. Là encore le rythme est très lent, mais on découvre un peu l’écosse. Le personnage s’humanise vaguement, et il y a quelque chose comme une évolution de personnalité, même si ce n’est pas aussi net que dans un film très dialogué.

Car, au fond, Under the skin est un film volontairement très opaque. Pas dans son histoire, qui est très simple et que l’on comprend sans peine, mais dans sa narration. Il n’y a pratiquement aucun dialogue, ce qui fait que tout passe par un langage visuel. Or celui-ci est volontairement déroutant, Jonathan Glazer s’appuyant sur trois piliers dans sa mise en scène :

- Des plans réalistes extrêmement longs qui créent une impression de durée à la limite du malaise.

- Des plans qui mettent en valeur le corps humain, notamment dans les fameuses scènes de matière noire

- Des plans what the fuck, à mi chemin entre l’horreur conceptuelle et l’art contemporain, extrêmement étranges et marquants.

Un film plus intéressant à raconter qu’à regarder

Ces plans sont la force de film. Ils nous permettent de mettre des images sur ce que Rimbaud appelle des ses vœux dans la lettre dite du voyant : « [le poète] devra faire sentir, palper, écouter ses inventions ; si ce qu’il rapporte de là-bas a forme, il donne forme : si c’est informe, il donne de l’informe ».

Je ne peux malheureusement pas vous dévoiler ces fulgurances, parce que je ne vous gâcherais pas le plaisir.

Ces images fortes sont noyées dans un tempo très lent. Je comprends assez bien l’idée de créer une ambiance assez léthargique pour donner à ressentir l’idée de routine, et faire ressortir par contraste les images extraordinaires, mais cela en fait un objet assez perturbant pour le spectateur, qui a deux options

- soit il rentre dans le trip, et accepte de se laisse happer par la matière noire qu’est le film lui-même

-soit il ne garde que les images choc, et se dit qu’au fond tout ceci aurait fait un très bon court-métrage ou clip.

Pour ma part, je trouve que le film est surtout intéressant à reconstruire une fois le film passé : se demander ce qu’on a vu, reconstituer le parcours mental du personnage, se passionner pour certains plans, se rendre compte après coup que le personnage au visage éléphantesque existe réellement , donner sens à la froideur de l’ensemble.

Et alors c’est bien ?

Under the skin n’est pas le genre de film dont on peut dire qu’il est bon ou mauvais, car il ne cherche pas nécessairement à respecter les règles du cinéma classique. Il y a bien un scénario, une progression, des événements, mais à un état si embryonnaire qu’ils ne font pas le film. Il se situe à la limite entre une très belle installation vidéo, et un film de genre. Ce n’est pas un film dont on sort nourri, comme on pourrait l’être après la vision du diptyque Nymphomaniac, rempli jusqu’à la gueule de situations marquantes, riches et provocantes. C’est un film avec quatre – cinq scènes extrêmement marquantes, au milieu de moments creux.

Un peu à l’image de Scarlett Johanson, perdue sur les routes d’Ecosse, cherchant à accomplir sa tâche.

A vous de voir si vous êtes prêt à tenter l’expérience. Pour ma part, même si je ne suis pas entièrement convaincu, je pense que cela fait parti de ces films à avoir vu, ne serait-ce que pour se forger son propre avis.

Considération bonus : ok : mais Scarlett Johanson nue ?

L’un des points forts de la promotion du film était : on voit Scarlett Johanson nue. Et c’est vrai. Seulement, ne vous y trompez pas : autant elle était hyper sexualisée dans son rôle de la Veuve noire, autant Jonathan Glazer joue avec nous ici :

- d’un côté, il s’agit d’une prédatrice sexuelle rendue encore plus désirable par quelques kilos en trop bien placés (comprendre qu’elle a les cuisses qui se touchent, et je sais que cela peut en rebuter certains)

- d’un autre côté, son statut d’alien l’amène à jouer d’une manière déshumanisée. Le titre Under the skin, renvoie directement à ce statut d’étrangère : elle n’est pas ce qu’elle semble être, et son adaptation au mode de vie humain passe par une appropriation impossible de ce corps étranger. Autant dire, que c’est une approche très différente de la femme fatale que celle qu’elle a joué dans le Dahlia noir par exemple.

Considération bonus 2 : Breaking point

Si le film a pas mal été comparé aux films de Nicolas Roeg, notamment l’homme qui venait d’ailleurs, j’ai surtout pensé à un film pas forcément très très apprécié, ou alors pour les mauvaises raisons, intitulé Breaking Point.

Ce film est connu en France pour son incroyable bande-annonce complètement NSFW qui a fait la gloire de la section ils l’ont dit de Nanarland :

Contrairement à ce qui nous est vendu, il s’agit d’un film au rythme extrêmement lent où l’on suit un employé de bureau qui se révèle être une sorte de maniaque / tueur en série (mes souvenirs sont un peu vaporeux), avec une fin très étrange qui remet ce que l’on a vu en question. Là aussi, on y suit l’errance d’un prédateur, avec des scènes de sexe très bizarres, notamment une assez marquante où, lors d’un plan fixe persistant, on voit une mouche se poser sur le sexe du « héros ». Il y a aussi une scène où on le voit tirer dans la forêt, avec des bruits de détonation assourdissants et psychédéliques.

Si le film n’est pas aussi brillant esthétiquement qu’Under the skin, je ne serais pas étonné que Jonathan Glazer l’ait vu
kevo42
6
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le 14 juil. 2014

Critique lue 435 fois

kevo42

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