A women under the influence n'est pas facile à regarder, loin de là. Aux habitués des films récents (comme moi), vous ne serez pas pour décontenancés. Le film n'a vraiment pas mal vieilli !


En réalité, la difficulté réside dans la forme de ce film. Déjà, on peut noter sa durée: 2h30 de film pour l'histoire d'une femme au foyer, franchement chapeau, ça c'est du parti pris. Vous êtes prévenus, accrochez-vous à votre siège, c'est quasiment aussi long qu'Interstellar mais on se contente de nos trois dimensions spatiales habituelles.
Bon un parti pris, ok. Mais à quoi à ça sert d'étaler le film sur deux heures trente ? Je dirais que c'est un choix plutôt judicieux car il permet de mettre en place une ambiance, pas des plus agréables mais adaptée au message. Ainsi, on se retrouve avec des scènes longues en plein immersion dans la vie de famille et sociale du couple Nick et Mabel. On rigole en mangeant des spaghettis avec une bande d'ouvriers du bâtiment, on est désemparé et affreusement mal à l'aise devant les scènes de rupture psychologique de Mabel. On est aussi mal à l'aise que la tension d'une scène peut chuter d'un moment à l'autre. Nous spectateurs, regards extérieurs, sommes autant sur le fil que Mabel et son mari Nick, car tous leurs manquements à la "normalité sociale" renvoient au notre: notre illégitime volonté d'une intériorité alignée sur un ordre social figé. Un joli petit jeu de miroir des sensations.


Ce qui m'amène donc à discuter du fond du film, hautement louable. Il n'y en a pas beaucoup qui traitent de la condition féminine aussi honnêtement. Si le film a très bien vieilli, il reste tout de même un témoin de son époque. Les années 70 sont de ces années qui marquent l'installation pérenne des femmes dans le monde du travail. Cela introduit un souci tout à fait contemporain d'ailleurs: Quelle est la position des femmes face à leur désirs de maternité et de réussite professionnelle ?
Dans ce contexte, Mabel fait parti de ces femmes qui ont fait le choix ou non d'être femme au foyer. Officiellement sans travail ni véritable statut social, elles s'interrogent sur leur identité, sur leurs capacités. Si la société ne vous dit pas qui vous êtes alors c'est à vous de le découvrir. Et que sommes-nous réellement ? L'autre est comme un miroir déformant et ingrat. Ces femmes actives qui dans leur élan ne répondent pas à la femme d'antan. Coupée de la société, enfermée dans la bulle familiale, le temps c'est celui des enfants et du mari qui témoignent du dernier lien sociale. C'est donc dans ces derniers qu'il faut s'investir. Telle est la logique de Mabel. "Je pourrais être n'importe qui" dit-elle, mais c'est sans compter sur sa nature propre qui cède au dessus de cette limite de plasticité. En définitive, Mabel meurt littéralement pour la société: la grâce et la beauté du cygne meurt pour vous. Dans un dernier élan de créativité, la projection de ce sacrifice s'opère sur les enfants qui sont toute l’œuvre de cette femme au foyer.
Pour autant, si vous êtes un homme avec un emploi, vous n'êtes pas sorti d'affaire nous dit John Cassavetes. L'homme se doit d'être fort et utile à la société, travailler deux fois plus si les temps l'exigent. L'intériorité est laissée de côté, l'homme ne sait ni pas parler à sa femme ni à ses enfants, il ne les comprend pas ou ne les comprend plus. Il hurle, frappe, exige: Soyez heureux, soyez normal, soyez sage. Ou bien, il est paralysé par l'incompréhension.
Ici, la femme répond aux exigences de l'homme, l'homme à celles de la société, et la société elle, doit s'assurer que nous serons bien là demain à l'école ou au travail.
En somme, une peinture sociale toujours pertinente à l'heure actuelle.


Pour conclure, les acteurs sont justes, le sujet vraiment intéressant et bien traité. Cependant, je n'ai pu vivre ce film qu'aux travers de mes sensations et de ma pensée. Je n'ai pas été saisi par l'émotion ce qui constitue un bémol non négligeable. Toutefois, je vous conseille vivement de le regarder, il vaut vraiment le coup.

bunrd
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le 21 janv. 2016

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