Pour son premier long-métrage, Antoine Raimbault nous invite chaudement à la réflexion sur l'essence de la Justice. Cet appel à la réflexion, il sera mis en lumière pendant près de deux heures autour du procès de l'affaire Viguier, mari présumé coupable du meurtre de sa femme.


Le parti pris de Raimbault est clair : La justice n'est pas une affaire de sentiments. Elle doit s'affranchir totalement de toute forme de fantasmes, d'hypothèses ou de spéculations afin que l'impartialité soit de mise. Le seul objectif du procès, c'est de rendre justice, point. Le verdict judiciaire doit donc s'établir sans trop de peine comme la réponse la plus naturelle au prolongement des preuves, qui elles doivent constituer l'ingrédient principal des débats...


C'est pourtant tout l'effet inverse qui se produit dans l'Intime Conviction. Nora, c'est cette femme qui est intimement convaincue de l'innocence de Jacques Viguier. Cette conviction se décharge de toute forme probatoire et mute dangereusement vers une forme d'obsession ravageuse qui sème le chaos dans sa vie personnelle : plus de vie de famille, plus de vie amoureuse, plus de vie professionnelle. Uniquement un procès, une proie, incarnée par Viguier, et le regard salvateur de Nora.
Marina Foïs fournit une prestation plus qu'honorable dans ce rôle où on la sent réellement impliquée devant son ordinateur retranscrivant avec minutie les écoutes téléphoniques du dossier, même si précisément ce genre de scène questionne le spectateur sur la cohérence scénaristique et remettent en cause la crédibilité de l'oeuvre...


Que font un total de 250 heures d'écoute dans un dossier si pas même les enquêteurs n'ont pris la peine de les exploiter ? Depuis quand un avocat peut briser un scellé judiciaire d'initiative alors que l'audience est suspendue ? Bien sûr il ne s'agit pas de jeter le discrédit sur le travail technique de Raimbault, mais au regard d'un public aguerri avec les codes judiciaires, le scénario présente des faiblesses évidentes. D'autant plus qu'outre le scénario bancal, le récit du procès n'aide pas le spectateur qui perd pied et se retrouve vite noyé sous le flot d'informations qui composent l'affaire. Impossible d'y comprendre quoi que ce soit sans être un minimum familier avec le dossier en question.


Olivier Gourmet en revanche, sonne le gong et nous convainc brillamment par le fruit de sa verve. Incarnant le très célèbre Maître Eric Dupont-Moretti, il nous retransmet avec élégance le mordant incisif et la franchise grossière de l'avocat. On se prend d'ailleurs à jubiler devant les commentaires attentatoires de l'homme en robe, qui du procès, en fait une partie de chasse : "Un témoin, une balle." Il couronnera d'ailleurs l'oeuvre d'un plaidoyer magistral, digne d'une représentation théâtrale, où le silence se transforme en une forme d'approbation générale.


Laurent Lucas en Jacques Viguier, quant à lui, demeure impassible, muet, résigné sans doute d'avoir passé dix ans de sa vie pointé du doigt par une institution judiciaire, las de devoir prouver son innocence.


Finalement, l'entreprise de Raimbault est globalement satisfaisante. Les plans du procès effacent plutôt bien la monotonie et le pathos dégoulinant qui suinte parfois du parcours personnel de Nora. Malgré quelques passages grotesques, - entre autres la guérison surréaliste de l'accident - , la leçon est retenue : on n'envoie pas un homme aux assises sans éléments probants.


L'intime conviction, finalement, pour nous les spectateurs, c'est celle de devoir s'en remettre à la raison. Aux preuves. C'est celle qui ordonne de mettre de côté toutes les querelles personnelles de Maître d'Audience, c'est celle qui impose l'examen de conscience, c'est celle qui dicte de ne point juger, mais de rendre justice.

Pripiat
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le 20 mars 2019

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