Si vous avez lu La storia d'Elsa Morante, vous savez que les Italiens sont très forts dans le genre du drame historique. Ils savent à la fois brosser des individus aux destins touchants, et montrer comment les vagues de l'Histoire viennent se fracasser contre eux. Et c'est souvent très beau, comme dans cette Journée particulière.
Evidemment, on pense à Fenêtre sur cour, puisque l'action se passe à l'intérieur d'un immeuble de rapports à cour intérieure, dont les deux bâtiments sont reliés par une terrasse. Le va-et-vient ne va se faire qu'entre deux appartements qui se font face, sous le regard malveillant d'une logeuse acquise au régime fasciste.
Il y a deux plans mémorables : un premier long travelling montrant les différents appartements de la cour intérieure, avant de s'avancer jusqu'à Sofia Loren, qui prépare un café avant de réveiller ses enfants. Plan saisissant, fait principalement de bruits ambiants, dont le calme donne à sentir, en creux, le grondement et l'excitation de la foule fasciste dehors. Brillantissime. Le plan de fin le reproduit avec un effet de clôture, Antoneta rejoignant sa famille déjà couchée, même si sa vie ne sera plus jamais la même.
Le film est parcouru par la tension que subissent les deux personnages principaux, qui devraient être au défilé avec tout le monde mais n'y sont pas. La concierge met très fort la retransmission radio du défilé, qui envahit les espaces privés. On a deux individus, qui pointent sans mal les contradictions de l'autre, mais sont unis par l'humanité dont ils voient les autres se dépouiller sous l'effet de la propagande. On est donc à la fois dans le film historique et la parabole, mais cela n'est pas appuyé, car les dialogues sont rares. Et quand des propos vris éclatent, ils sont d'une violence cinglante.
L'essentiel des plans montre des activités triviales : se faire cuire une omelette, moudre du café, réparer une lampe, aller récupérer le linge qui sèche. Mais sous ce vernis auquel les personnages se raccrochent, on sent le désespoir d'individus en train de se noyer dans une marée brune.La colorimétrie utilise d'ailleurs des teintes saturées, presque sépia, pour faire raccord avec le montage d'informations du début, mais aussi pour dépeindre la vie misérable de ces gens à qui l'endoctrinement essaie de fournir une évasion vers des rêves de grandeur puérils.
Enfin, on ne dira jamais assez à quel point les dialogues sont bien écrits, et les deux interprètes principaux sublimes. Mastroianni en homosexuel psychologiquement blessé, mais au fond résolu quant à ce qui l'attend, et Sofia Loren, parfaite dans son rôle de mère fasciste humiliée, forcée à prendre conscience du machisme de son mari et de sa propre absence d'éducation. Tout deux, par la retenue de leur jeu, créent des moments de grande émotion,. La scène de simulacre d'amour, à ce sujet, est un moment particulièrement déroutant, et la conclusion tombe comme un couperet, non pas brutal, mais définitif.
On m'avait dit qu'Une journée particulière était un très grand film. Il restera en effet comme un des films les mieux écrits sur la manière dont le fascisme détruit les individus.
Synopsis.
Actualités cinématographiques sur la venue prochaine d'Hitler à Rome. Une cour d'immeuble de rapports. La mère réveille sa famille, qui se fait belle pour assister au défilé de Mussolini. Tout le monde y va sauf elle, car Antoneta n'a pas de bonne, et car elle n'aime pas le fascisme. Restée seule, elle essaie de se motiver pour faire le ménage et laisse échapper le mainate. Elle sonne chez Gabriele, qui songeait visiblement à se suicider. Ils ont une entrevue étrange. Gabriele téléphone à son amant, Marco.
Il retourne voir Antoneta pour lui prêter un livre, mais elle croit qu'il en a après elle. La concierge vient sonner car elle a compris qu'Antoneta n'était pas seule. Après avoir demandé à Gabriele de partir, elle se ravise et lui offre un café. La concierge repasse, et lui confie que Gabriele est un antifasciste qui a été renvoyé de sa station radio. Antoneta s'en prend aux idées de fabriele, et essaie de le congédier. Il l'accompagne sur le toît, chercher le linge, et réussit à la faire rire. Elle croit qu'il cherche à la séduire, et lui en fait reproche. Il reste de marbre et avoue son homosexualité, puis il rentre abruptement chez lui.
C'est elle qui vient le chercher, alors qu'il prépare une omelette. Elle l'écoute raconter ce qu'il a subi. Elle avoue savoir que son mari la trompe. Il la serre dans ses bras, elle fait mine de s'abandonner, tout en sachant que lui ne ressent rien. Les familles reviennent du cortège, la bouche pleine des généraux nazis aperçus. Son mari a l'air de vouloir pratiquer le viol conjugal pour fêter ça, mais Antoneta reste seule dans la cuisine à lire le livre offert. Elle voit Gabriele se faire embarquer par l'OVRA. Elle repose le livre, et va se coucher.