Du granit de la cour jusque dans les hauteurs mitoyennes, traversant rideaux et fenêtres, résonne les champs et discours du parti : "fascisme, fascisme...", ils n'ont que ce mot à la bouche. Depuis sa haute tour, elle qui est loin d'être princesse, cette femme, cette beauté unique au regard froid, cette mère aux six enfants, elle, Antonietta, elle regarde cet homme, ce dos. L'homme en face désespère à son bureau, seul lui aussi dans ce grand bâtiment. Un pistolet orne le tableau, marquant son mal-être, sa fin. Lui non plus n'ira pas voir, en ce jour, le défilé où Hitler et Mussolini se succéderont.


Une cour sépare cet homme et cette femme : c'est un gouffre, un abîme aux relents totalitaires, un vide emplit d'un vacarme que seule une paire d'ailes peut franchir. Guidé du regard d'Antonietta. son perroquet s'échappe de l'appartement familial pour aller se poser chez cet homme. Antonietta court, traverse l'immeuble à la hâte. L'oiseau l'a mené jusque chez lui, lui qui l'interpella de son échine courbé. Une porte s'ouvre et Antonietta tombe sur Gabriele, l'homme de dos désormais de face. Il la laisse pénétrer son espace, elle qui, sans le savoir, vient de le sauver d'un mortel dessein.


L'oiseau récupéré, Antonietta découvre en Gabriele un homme de culture, un homme de lettres, un homme qui sait, un ange mû d'une vitalité retrouvée. Il est et incarne tout ce qu'elle n'est pas, tout ce qui manque à son existence. Elle s'en retourne alors en sa demeure, troublée par tout cet être aux allures de liberté. Antonietta a beau tenter de mettre des distances entre elle et son désir qu'il vient frapper à sa porte, pénétrant lui aussi son intimité, un livre en main et de lourds secrets dans son placard...


...


Je m'arrête volontairement dans mon récit du film et vous encourage réellement à le découvrir par vous-même, à vous laisser par la même occasion vous émerveiller par lui. Une journée particulière est de ces films puissants qui vous transperce, qui vous émeut, qui vous secoue d'un sanglot sincère. Un film qui marque autant, il y en a peu comme il y a peu d'amour véritable. On les reconnait par une lumière, un regard, un baiser volé qu'on n'oublie pas. On ne peut qu'essayer de vivre avec, de se détacher des passions et illusions perdues dans l'espoir, d'un jour, renouer avec. A jamais, une journée particulière restera, non pas seulement car il est ma 6000e note ou ma 50e critique, mais parce qu'il m'a touché de sa pureté, de cette liberté fugace au sein de sa prison fasciste.

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le 26 janv. 2016

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Fosca

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