Amélie Nothomb (qui sans jamais avoir la profondeur a souvent l'à-propos et le sens de la formule) écrivait dans "Le Sabotage amoureux" : "Un pays communiste est un pays où il y a des ventilateurs (et beaucoup de vélos)". Cette phrase, à la structure élémentaire et à la beauté exotique pour un occidental, concentre assez bien en une image l'idée du lien fonctionnel qui existe entre l'individu et la collectivité dans "une grande nation glorieuse".
Vingt ans plus tard, l'image que propose Dong Yue d'une Chine en pleine mutation - on est en 1997, à quelques mois de la rétrocession de Hong-Kong à la Chine continentale et en pleine désindustrialisation post-maoïste - serait la suivante : "Un pays post-communiste qui s'ouvre au néocapitalisme est un pays où il pleut vraiment beaucoup et où les véhicules tombent régulièrement en panne."
Un premier long métrage sans grande surprise mais vraiment pas mal. Dong Yue pourrait recevoir le prix de l'ouvrier modèle, tant il reprend avec zèle les ingrédients du polar humide sur fond d'histoire sociale collective dans un pays en fin de cycle et en décomposition lente.
Dans la province du Hunan, au sud de la Chine, on suit en effet la quête/l'enquête désespérée et illusoire d'un anti-héros à la bonne bouille, qui s'attachera jusqu'à l'auto-sabotage à sa vieille usine, comme d'autres rêveront d'aller s'installer à Hong-Kong sans jamais pouvoir s'arracher à leur boue mortifère.
Yu Guowei, notre personnage, se définit dès le début comme "le produit inutile d'une nation glorieuse". Ce chef de la sécurité qui se voudrait promu policier, se lance en solo à la poursuite d'un serial-killer en ciré du Parti. Il subira, en bon rouage d'un système obsolète, le même sort que sa vieille usine d'Etat. On oscille constamment - et sans doute un peu trop systématiquement pour être vraiment séduit - entre le figuré et le figurant d'une construction allégorique. L'enquête policière devient vite la métaphore de la métamorphose économique chinoise entre 1997 et 2008. Quant au gag récurrent du véhicule en panne, il est la figure tragique d'une vaste nation gelée.
Et c'est une pluie sans fin, noire et gluante, qui finit par se muer en neige à la fin du film, et condamne une population exploitée et opprimée à un piétinement sans fin, jusqu'à l'obsession, l'obstination dérisoire et l'hallucination.
Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis dans un pays post communiste, on en vient à un spleen productiviste : le traqueur du serial-killer fait tomber dans sa traque tout autant de cadavres.
L'articulation des deux plans manque cependant encore de finesse, de poésie et peut-être d'humour (à la coréenne - excellent Bong Joon-ho).
Dans le genre polar sinistre sur fond socio-politique, j'ai préféré revoir (la même semaine) "La Isla minima", excellent film d'Alberto Rodriguez (jeunes femmes retrouvées assassinées au milieu de nulle-part dans l'Espagne post-franquiste).