Alors que les derniers films de Malick nous plaçaient dans des villes et nous montraient toute la futilité de cette vie urbaine moderne, le virage passe pour radical a priori avec Une vie cachée. Nous pourrions aussi dire que c'est un retour vers les débuts du Monsieur, notamment avec son superbe film Les Moissons du ciel. Cependant, il n'en est rien puisque nous sommes ici en terrain connu : bien que nous retrouvions un fil narratif (certes parfois ténu), les thèmes propres à l'auteur reviennent à nouveau : spiritualité, questionnement moral, philosophie...
On change pourtant de directeur photo, et ce n'est pas franchement désagréable dans cette première heure de film où nous découvrons un village perdu dans de sublimes montagnes. Cette découverte des personnages, de leur situation (le travail de la terre qu'ils exercent, leur lieu d'habitation, leurs voisins...) est fascinante même si l'on retombe malheureusement parfois dans les travers récents de Malick avec des scènes filmées façon photoshoot où les rires, l'amour et le jeu se montrent sans retenue et paraissent particulièrement factices. La reconstitution est pourtant magnifique, on a envie d'y vivre dans ces montagnes brumeuses et dans ce village où la solidarité et la fraternité semblent, pour l'instant, de mise. La musique est également très belle, elle sait être bien présente pour embellir ces images sans pour autant se révéler écrasante. Le rapport à la terre et à la matière se fait ressentir et est toujours aussi agréable au cinéma.
Et puis vient la deuxième heure du film où nous commençons à découvrir l'éthique du personnage principal. Doucement, nous sentons l'omniprésence de la guerre, non pas que nous la voyons directement ou qu'elle fasse ressentir son terrible danger, mais elle est là, elle attend notre héros qui ne veut pas d'elle. Jusque-là, tout va bien, la scène où des soldats nazis demandent au personnage de cotiser pour l'effort de guerre est même particulièrement réussie à cet égard. Les soldats, silencieux mais menaçants annoncent un futur que nous ne connaissons que trop bien.
En effet, si nous devinons aisément par avance le devenir du personnage et que cela n'est pas dommageable en soi, c'est certainement son traitement qui pèche par manque d'originalité. Les questionnements moraux arrivent à grands pas, nous le sentons, il va falloir juger cet homme qui refuse de prêter serment à Hitler quand bien même "ce ne sont que des mots". Ce questionnement est central dans le film et il me semble que celui-ci prend évidemment parti du héros (sinon il n'en serait pas un). Pourtant, dieu merci, des personnages secondaires viennent remettre en cause cet entêtement. Je dis bien entêtement car Malick ne m'a convaincu aucunement concernant l'éthique de ce personnage ayant pourtant bien existé, et c'est très dommage, car avec cela l'empathie s'en va et la deuxième partie du film devient de fait un peu lourde à supporter. En fait, le personnage est une sorte de Christ allant au bout de ses convictions et cela peu importe les conséquences pour ses proches alors même qu'il a une porte de sortie qui lui est accessible, c'est très frustrant. Il en va de même pour les quelques hésitations morales de certains personnages, notamment des soldats nazis, Une vie cachée n'apporte ici pas grand chose de nouveau à un questionnement moral déjà traité de très nombreuses fois.
A cela il faut ajouter la voix-off si chère à Terrence venant balancer au hasard des phrases bateaux ici et là. En fait, là où beaucoup encensent le Monsieur pour son traitement du spirituel et du contemplatif, je le trouve parfois très superficiel et sans subtilité. Il n'y a pas de grâce à mon sens dans l'utilisation d'une voix-off. Je déplore également une multiplication des prises de vues au lieu de laisser durer plus longuement les plans pourtant magnifiques : c'est une sorte de gâchis, la matière est là mais impossible de véritablement se mettre en position de contempler un paysage qui nous est montré seulement quelques secondes, c'est bien dommage. Je lui préfère très largement Les Moissons du ciel où il y magnifie aussi de beaux paysages tout en nous laissant le temps nécessaire à la contemplation. La simplicité de ce film lui donnait de manière paradoxale une grande profondeur d'esprit et une certaine épaisseur naturelle là où Une vie cachée est assez lourd, finalement.