Corse,années 90.Une bande de jeunes,amis depuis l'enfance,se lancent dans l'action armée au sein d'un nouveau mouvement issu d'une scission du FLNC et dirigé par le charismatique François,ancien leader du Front.Mais le moment est mal choisi,car les luttes intestines font rage chez les nationalistes,et ce nouveau groupe se met rapidement tout le monde à dos.L'état français,qui les pourchasse en tant que terroristes,la mafia,dont ils gênent les affaires,et les autres mouvements indépendantistes,principalement le puissant FLNC,dont ils contestent les dérives mafieuses et qu'ils concurrencent dans la collecte de l'impôt révolutionnaire,qu'on peut plus prosaïquement appeler le racket des entrepreneurs.Ce sont des purs et durs,mais ils vont se heurter à la réalité et tout ça se finira très mal.Le réalisateur et scénariste Thierry de Peretti choisit la voie du vérisme pour nous conter ce roman noir d'une génération perdue.Le film est anti-spectaculaire au possible et n'a rien d'un western.Le cinéaste limite les scènes d'action,elles n'en sont que plus choquantes,et s'attache à enchaîner les séquences de discussions politiques à forte teneur néo-marxiste dans des bars,des appartements ou des prisons où sont bizarrement enfermés ensemble les militants violents.Et pourtant,tout est là et tout est montré,au fil de scènes courtes traitées avec un réalisme froid:les mecs qui se baladent H24 armés jusqu'aux dents et avec des gilets pare-balles,les exécutions sommaires,les nuits bleues,les rendez-vous secrets dans le maquis,les réunions cagoulées,les salves de tirs en l'air lors des cérémonies,les fêtes qui se terminent dans le sang.De Peretti relie de manière très factuelle la théorisation politique et ses conséquences meurtrières sur le terrain."Une vie violente" est une fiction,mais qui s'appuie sur la réalité et y colle de très près,car tout ce qui advient dans le film est bel et bien arrivé.Rien ni personne n'est nommé,mais tout est identifiable.Ainsi,le jeune mouvement ici décrit a existé,il s'appelait Armata Corsa.Son chef s'appelait effectivement François,François Santoni exactement.Il était bien une ancienne figure du FLNC,et il a bien été assassiné dans les conditions exposées dans le film.Et ses membres ont été liquidés par le FLNC,notamment la branche dirigée par Charles Pieri, et ses alliés mafieux,principalement le sinistre gang de la Brise de Mer.Les conversations sont souvent confuses,parfois inaudibles,mais ça donne à l'histoire une spontanéité,un côté "pris sur le vif",qui renforce son allure véridique.Les mecs parlent en même temps,se répètent,s'interrompent,bafouillent,s'énervent,comme dans une vraie conversation.Sur le fond,que penser de tout ça?On peut être séduit par le romantisme révolutionnaire et trouver sympathiques ces types prêts à se battre et mourir pour la préservation de leur identité,de leur culture,de leur environnement,toutes choses qui trouvent une étrange résonance dans les troubles survenant en France à l'heure actuelle.Surprenant d'ailleurs que ce genre de révoltes soit souvent soutenu par les mêmes qui les vilipendent et les considèrent rétrogrades et réactionnaires quand elles se manifestent dans l'Hexagone.A contrario,on peut également être dubitatif face à un tel déchaînement de violence aboutissant à si peu de résultat.Tout au long de son Histoire,la Corse a toujours été rebelle,mais elle a rarement été indépendante.Après avoir longtemps appartenu à la République de Gênes,elle est devenue française en 1768,quand Choiseul,chef du gouvernement de Louis XV,l'a achetée,ce qui n'était pas nécessairement opportun.Certes,la France ne s'est sans doute pas très bien occupé de ce territoire détaché de la métropole,qui est une des régions les plus pauvres du pays,mais l'île,qui vit essentiellement du tourisme,est sauvage,dépourvue de ressources naturelles,et si l'Etat français ne la soutenait pas,on peut se demander ce qu'elle deviendrait.C'est du reste une des raisons des dissensions entre nationalistes corses,tous n'ayant pas la même vision de l'avenir politique de leur pays.La dernière tendance semble être plus à l'autonomie qu'à l'indépendance,ce qui s'appelle vouloir le beurre et l'argent du beurre.Les Talamoni et compagnie veulent gérer l'île à leur guise,tout en restant français afin que les "métros" continuent à raquer pour eux et à leur assurer de jolies carrières dans la fonction publique.Ben voyons.Au-delà de la politique,les désaccords concernent aussi des querelles d'argent,car c'est le nerf de la guerre,de personnes et de territoires,car les corses fonctionnent de manière clanique.Clans familiaux,clans villageois,fiefs régionaux,il est imprudent de marcher sur les plate-bandes des autres.Aujourd'hui,curieusement,tout ça parait s'être calmé et on n'entend plus parler,dans une France pourtant chauffée à blanc,de terrorisme corse.Auraient-ils obtenu ce qu'ils demandaient?Ou alors est-ce juste que la jeunesse insulaire,certainement amollie comme partout par les mirages de la modernité,ne souhaite plus s'engager dans des combats dangereux à l'issue incertaine,à l'instar de ses collègues basques ou irlandais? Que reste-t-il donc de l'aventure Armata Corsa?Le souvenir de nombreux cadavres accumulés au champ d'honneur pour rien ou pas grand-chose,l'écho de la fraternité,de la peur et de la parano,des femmes endeuillées dépassées par la violence de leurs hommes et condamnées à se faire une raison,un sentiment terrible d'amertume contrastant avec les paysages superbes et la lumière magique de l'Ile de Beauté.De Peretti,corse lui-même,a engagé des acteurs qui le sont tous également,tous inconnus et tous d'un naturel époustouflant.Pour en savoir plus,on ne peut que recommander la lecture du livre coécrit par François Santoni,exécuté en 2001,et son ami Jean-Michel Rossi,assassiné en 2000,dont le titre prémonitoire sonne comme un glas:"Pour solde de tout compte".

pierrick_D_
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le 8 janv. 2019

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