Scénariste de talent, acteur de seconds rôles et producteur au nez fin, Leigh Whannell reste surtout connu pour sa collaboration avec James Wan, les deux amis ayant initié avec Saw au début des années 2000, le sous-genre horrifique du torture porn. Après quelques scripts de films d'horreur et un premier passage derrière la caméra (il réalisa Insidious 3 en 2015), Wannel signe avec Upgrade sa seconde réalisation pour le compte de la prolifique Blumhouse et s'attaque à un sujet de pure SF, genre qu'il n'avait jusqu'ici jamais abordé.


Son intrigue prend place dans un futur proche. Grey et Tasha forment un couple heureux. Elle, cadre chez Cobolt, une firme high-tech, vit en accord avec la technologie de son temps, lui, mécanicien au chômage remet en état des voitures de collection pour de riches clients et préfère garder les mains dans le cambouis, loin du tout-technologique. Un soir alors qu'ils font route à bord de leur voiture pré-programmée pour rentrer chez eux, ils sont victimes d'un accident et agressés par un groupe d'individus. Tasha est tuée et Grey grièvement blessé. Cloué à vie sur une chaise roulante, il ressasse le souvenir de sa défunte épouse et se laisse dépérir. Jusqu'au jour où un de ses anciens commanditaires, le jeune chercheur Eron Keen, lui propose de lui implanter à titre expérimental une puce dotée d'une intelligence artificielle, Stem, qui fera la liaison entre sa tête et son système nerveux. N'ayant rien à perdre, Grey accepte sans trop y croire. Pourtant l'opération est un succès et il retrouve vite l'usage de son corps. Atterré par l'impuissance de la police à retrouver les assassins de sa femme, Grey décide alors de mener sa propre enquête et retrouve bientôt la piste d'un des agresseurs. Parallèlement à ça, il découvre que Stem a la capacité de lui parler...


Très loin de la banalité de son pitch, Upgrade est de ces films aux scénarios astucieux qui vous emmènent bien plus loin que ce vous auriez pu prévoir. Le postulat annonce ainsi un vigilante movie de plus, se servant d'un élément SF (l'intelligence artificielle) pour donner à son héros les moyens de se venger de ses bourreaux. Dans cette optique, la découverte que fait Grey de ses nouvelles facultés tendrait presque à rapprocher l'oeuvre d'un film de super-héros, et en ce sens partage même quelques similitudes avec le traitement réservé à Alex Murphy dans le Robocop de Padhila (de même que le Murphy incarné par Kinnaman, Grey laisse l'IA prendre le contrôle de son corps dès qu'il lui faut se battre). A mi-chemin entre l'ambiance sordide des vigilante 80's et l'univers purement cyberpunk, le futur "immédiat" de Upgrade, encore assez proche de notre époque actuelle, est un mélange entre modernité crasse (voir comment certains paysages urbains en friche renvoient aux décors sordides de Saw) et petites touches d'avancée futuriste (le laboratoire de Keen, la voiture de Grey et Tasha). Les progrès de la technologie domestique ne font qu'annoncer dans l'intrigue une avancée plus importante, celle de l'humanité augmentée, personnifiée par les personnages de Fisk et de ses sbires dont on ignore longtemps les motivations homicides mais dont on appréciera les mises à mort souvent gores (Whannell est issu du cinéma horrifique et sait toujours nous le rappeler).


Dans le genre du film du vigilante SF, le cinéaste n'a pas du tout l'intention d'embrayer le pas des auteurs qui l'ont précédé. L'intelligence de son script réside moins dans une redéfinition du revenge movie que dans un renouvellement progressif des enjeux (la quête de vengeance du protagoniste masque ici la véritable ambition du script) et sa capacité à exploiter pleinement des thématiques SF sur-exploitées (l'IA, le cyberpiratage, le transhumanisme) pour en extraire un questionnement tout aussi inédit que fascinant.
Plus encore que de vengeance, il s'agit surtout ici de perte d'identité et de vol de corps, ainsi que de la quête d'indépendance d'une entité immatérielle déterminée à prendre forme dans la réalité physique. Prétendument au service de Grey (l'un ayant en fait autant besoin de l'autre), l'IA Stem s'oppose ainsi progressivement à la volonté de son hôte (voir la scène où il lamine le visage du truand dans les toilettes) et le spectateur en vient alors à se demander qui de l'humain ou de l'IA est au service de qui. Conscient de son importance, Stem prend peu à peu l'ascendant sur son hôte, jusqu'à révéler une nature proprement possessive et malveillante, aux ambitions existentielles proches de celles d'un Puppet Master. En dehors d'un cadre purement SF, le traitement de cet antagonisme intime renvoie aussi pour beaucoup à celui qui était déjà au centre du film Incident de parcours de George Romero, où un protagoniste fragilisé et en perte d'autonomie devenait là aussi la proie d'une créature a priori serviable (un petit singe domestiqué) mais au comportement de plus en plus despotique et inquiétant.


Déjà remarqué dans des films comme Devil, Prometheus et L'Elite de Brooklyn, Logan Marshall-Green incarne ici à merveille cet homme démoli, totalement étranger à son époque et habité par une créature immatérielle. La qualité du jeu de l'acteur, aussi à l'aise dans la gravité de certaines scènes que dans les moments plus "funs", apporte beaucoup à la crédibilité d'une intrigue riche en rebondissements, parfaitement écrite par Whannell. Ce dernier prouve ici que son talent ne se limite pas à la seule écriture de bandes horrifiques mais livre avec Upgrade, plus qu'une simple petite curiosité du cinéma de genre, un des meilleurs films de science-fiction de la décennie.


Plus très loin de ce futur-là, nous sommes bien le premier de l'an et je vous souhaite une excellente année 2019.

Buddy_Noone
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le 1 janv. 2019

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Buddy_Noone

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