"Get Out" has got out too soon...

Après la surprise que fut le réjouissant Get Out, chronique fantastique d'un message politique sur la condition afro-américaine aux USA mais surtout thriller redoutablement efficace, Jordan Peele revient derrière la caméra avec une nouvelle proposition. Une proposition qui, à la sortie de sa bande-annonce produit en moi à la fois de l'attente et une certaine anxiété : Quelque chose n'allait pas dans cet espèce de schéma horrifique paraissant plus classique que "Get Out" et réutilisant les mêmes ingrédients (personnage principal torturé par un traumatisme d'enfance, personnage secondaire à forte dimension comique...). Je pressentais une déception, d'une manière ou d'une autre. Malheureusement, cela s'est confirmé...


Le début du film est bon. Très bon, même. Plastiquement, surtout. La première scène permet à Jordan Peele de montrer son formidable talent de metteur en scène, efficace dans la production d'images cinglantes et symboliques, associées à la création d'une véritable atmosphère. Choisir le point de vue de la petite fille silencieuse dans cette grinçante fête foraine est judicieux, et Peele le tient du début à la fin de sa séquence. Aucun plan n'est en trop, on a le pressentiment de ce qui va se dérouler mais lorsque le moment fatidique advient, il n'en est pas moins puissant. La tension est bien gérée, car maintenue sur un délai court. Bref, toutes les qualités de Get Out réunies en une introduction qui reste en mémoire, qui ferait un formidable court-métrage.
Je suis resté patient, devant ce film. Car là où son prédécesseur accumulait les scènes de nervosité permanente, dont pas une ne la laissait redescendre, "Us" prend plus le temps pour sa mise en place. Il a plus de personnages, une famille dont il veut que nous découvrions les différents caractères, les différents liens, on sent qu'il se fait plaisir à écrire des dialogues plus posés, à laisser gentiment monter (notamment ceux de son petit clown déguisé en papa cool, dont le caractère comique reste peut-être son seul trait distinguable...). D'accord, pourquoi pas. Ces moments se laissent regarder, mais le problème reste que je me demande s'ils ne possèdent pas une unique utilité : celle de retarder l'action, le climax le plus possible pour essayer (de façon plus ou moins bancale) d'installer l'épouvante dans son absence, et dans l'attente de celle-ci. Le problème principal étant qu'on ne peut pas construire une partie de son film dans une simple attente de la suivante, si elle est presque vide en elle-même. Oui, il est nécessaire de présenter ses personnages, de les faire connaître au spectateur afin qu'il se prenne d'empathie pour eux. Mais lorsque le souci vient en fait de l'écriture des personnages en eux-mêmes, il empiète sur cette première partie également. En effet, si l'on peut se prêter au jeu de cette famille dont chaque membre est distinguable par une caractéristique particulière, on perçoit avec un peu de lucidité qu'il n'y a pas grand chose derrière cette caractéristique. Adelaide, le personnage principal mis de côté, on a donc le papa clown, le gamin un peu creepy perdu dans son monde, l'adolescente blasée sur son téléphone en permanence. Pas beaucoup d'intérêt, donc, et on ne peut se raccrocher qu'au personnage principal (or, comment peut-on ressentir de la peur si l'on ne se préoccupe pas du sort des protagonistes ? La peur ne doit pas forcément être peur en soi mais peur pour un personnage, en vertu d'un enjeu.)
Mais reste que l'installation de la tension fonctionne encore sur cette partie puisqu'on reste curieux de savoir ce que Jordan Peele nous réserve, on est sceptiques, on ne sait pas encore vraiment où il veut aller : Il y a toujours une part de mystère. Cela ne durera pas bien longtemps, cependant.


Juste avant que le film ne sombre dans le délire de la facilité et que Jordan Peele ne foute en l'air son film, il y a une dernière séquence réellement efficace et palpitante : La première apparition des doubles maléfiques. Elle fonctionne par l'installation efficace d'un horreur quasiment burlesque (les familles en silhouettes noires devant leur jardin, immobiles reste une image simple mais puissante. Cette création d'images fortes se retrouvait déjà dans Get Out avec la séquence du bingo, bien entendu...), et par le maintien du mystère sur le point d'être régurgité jusqu'au moment où il se délivre enfin, où Peele savoure l'effondrement de la petite vie familiale. Seul petit défaut, la scène est peut-être un peu trop bavarde... (cela va se retrouver par la suite, malheureusement).


Après, cependant, c'est le début de la fin. Jordan Peele plonge dans un cercle vicieux de film d'action trop prévisible, peu crédible et qui, surtout, ne sait pas s'arrêter. Le choix de séparer chacun des membres de la famille avec son double est trivial, déjà-vu et chacune des séquences s'étire à l'infini. On sent beaucoup trop les fils tissés derrière l'écran, qui ressemblent d'ailleurs plutôt à des énormes oléoducs. Le réalisateur remet le couvert une seconde fois avec les voisins quand on pense enfin que c'est terminé, exactement de la même façon, avec des procédés presque calqués et une dimension de slasher raté (puisque sans la peur qui l'accompagne). Plus il poursuit cette voie, plus la tension retombe et plus on sort progressivement du film. L'ennui vient alors s'installer.
Mais le film ne s'arrête pas là, il devient interminable quand il se poursuit vers un épilogue bouclant grossièrement le scénario avec son début, via une dimension symbolique lourde. Cette espèce de descente dans les tréfonds des souterrains ne prend pas en compte le fait que les spectateurs sont déjà en dehors de l'action et que la succession de jolies images ne suffira pas à combler le vide d'enjeux qui ne nous concernent déjà plus. Certes, on a compris, la métaphore est politique, elle renvoie encore une fois à la condition afro-américaine du milieu du XXème siècle, alors que la population noire vivait dans des conditions déplorables, en deça du monde de la surface, parmi ces souterrains sordides. Mais le film manque le coche encore une fois, cette métaphore arrivant comme un cheveu sur la soupe après : le film familial rigolo, l'horreur et la tension non installées jusqu'au bout, le film d'action et le slasher trop long. Chaque nouvelle couche qui s'ajoute à cette immense tarte à la crème, esthétiquement réussie, ne la rend que plus indigeste.
Voilà pourquoi ces révélations finales ne sont que trop longues, trop bavardes, et que l'on y croit pas. Le film, contrairement à Get Out manque de cohérence globale, d'écriture soignée, il se cherche perpétuellement. Ne parlons même pas du twist final, qui est parfaitement ridicule (pour le moins inutile...) et ne fait qu'entrer comme une cerise sur ce gâteau bourratif.


Alors c'était l'autre depuis le début ? D'accord...D'accord, ça aurait un sens et un impact si effectivement des signes nous avaient été donnés dès le début, si ce choix avait eu un réel impact narratif intéressant. Il n'a pas joué sur les enjeux centraux, il n'a pas vécu en lui-même pour servir l'histoire mais comme un simple retournement de situation. Du coup, on s'en fout un peu. A trop chercher l'effet, Jordan Peele le détruit lui-même.


Reste que c'est beau. C'est très beau, la photo est léchée et la mise en scène nous offre des plans souvent très réussis, incisifs. Comme je l'ai dit plus haut, on a le droit à des images puissantes. La scène de la danse finale est très réussie, le montage complètement en phase avec la musique, dérangeante et fascinante à la fois. Une dimension presque clipesque, finalement. C'est un peu le gros problème de ce film, finalement : Peut-être Jordan Peele l'a-t-il considéré comme un terrain d'expériences techniques diverses. Un moyen de tenter des choses nouvelles, quitte à sacrifier l'unité de son scénario.
C'est en réalité ce qui le sépare radicalement de son prédécesseur. Get Out, en effet, disposait d'une mise en scène moins tape-à-l'oeil mais plus puissante, plus percutante. Pourquoi ? Parce qu'elle fusionnait directement avec chaque propos. Parce que chaque plan était une petite histoire au sein de la grande, la grande histoire elle-même au fondement de ces petites histoires.
Us est pris à son propre piège au sein de son histoire de division. Il manque donc d'un élément essentiel : Une unité.

Elliptic
5
Écrit par

Créée

le 4 avr. 2019

Critique lue 208 fois

Elliot Minialai

Écrit par

Critique lue 208 fois

D'autres avis sur Us

Us
Theloma
7

L'invasion des profanateurs de villégiature

Avec Us et après Get Out, Jordan Peele tire sa deuxième cartouche estampillée "film d'horreur". Sans vraiment réussir à faire mouche il livre un film esthétiquement réussi, intéressant sur le fond...

le 21 mars 2019

107 j'aime

33

Us
JimBo_Lebowski
4

"Qu'est ce qu'il ferait ce con de Shyamalan ?"

Je reste plus que perplexe, l'impression d'un bel enfumage, Jordan Peele m'avait pourtant fait plutôt bonne impression avec Get Out où, malgré une troisième et dernière partie délaissant ses...

le 26 mars 2019

93 j'aime

4

Us
Sullyv4ռ
9

"Oooh des jumelles ! Alors c'est laquelle qu'est méchante ?"

En allant voir Us je ne savais pas trop à quoi m'attendre, je n'avais vu qu'une fois la bande annonce qui ne dévoile pas grand chose et j'avais décidé qu'il en serait ainsi. Je voulais rester dans le...

le 21 mars 2019

84 j'aime

29

Du même critique

Simulation Theory
Elliptic
7

La nouvelle grande cour de récré de Muse

Ce n'est pas une note négligeable de la part des utilisateurs de Sens Critique, et quelque peu injuste si l'on regarde les choses en face. Je vais donc tenter de défendre au maximum cet album, pas du...

le 9 nov. 2018

6 j'aime

4

Trench
Elliptic
7

Frustrant mais Inattendu

Il faudra encore être patient avec cet album que l'on a attendu avec grande impatience après la grosse machine Blurryface dont les 14 titres emportaient chacun a leurs façons, et qui comportait...

le 25 oct. 2018

5 j'aime

La Vie de rêve
Elliptic
8

La cour des grands de La Vraie Vie

Tacler Bigflo et Oli, c'est devenu un peu mainstream, donc je vais me permettre dans cette petite critique de défendre du mieux que je peux leur Vie de rêve qui a le principal défaut de faire...

le 23 nov. 2018

4 j'aime

3