Disney et moi, ça commençait à faire un bout de temps que c'était le désamour : "Frozen" chiant, "Big Hero six" classé d'office dans le top ten des films qui pour moi justifie le retour à la barbarie (avec des clous rouillés), "Zootopia" trop maladroit pour être réellement mémorable... au final trois films très différents qui donnaient un peu l'impression que le studio effectuait des tirs d'essais à droite et à gauche.
Et le dernier tir d'essai est un coup dans l'eau (elle est facile, oui) avec ce Vaiana (Moana, en VO, rebaptisée pour cause d'homonyme avec une actrice X, on troque donc la porno-star contre la serviette hygiénique. Sont pas au point les commerciaux, chez Disney...), librement inspiré du folklore polynésien.
Je veux un scooter (des mers) !
Vaiana, fille de chef d'une île de Polynésie ,écoute depuis toute petite les récits de sa grand-mère sur Maui, demi-dieu présomptueux ayant condamné le monde aux ténèbres après avoir dérobé le cœur de la déesse mère. Depuis, l'océan, devenu hostile, confine les hommes sur leurs îles, en attendant que les ténèbres les rattrapent. Vaiana, devinant que la menace sur son peuple est prégnante, s'empare d'un (très) frêle esquif, de sa rame et se lance à l'assaut des flots pour retrouver Maui et le contraindre à réparer ses conneries.
Nous avons donc une "princesse" - elle se défend elle-même du titre - Disney très rafraîchissante. Quoique qu'elle ait les habituels traits qu'on connaît à ses consœurs - la rébellion contre les parents, l'envie d'aventure, le destin grandiose - à aucun moment Vaiana ne bascule dans le cliché de la demoiselle en détresse. Ce serait même l'inverse, en fait : cramponnée à ses convictions, elle affronte un océan déchaîné, un demi-dieu qui ne la prend pas au sérieux, des monstres... mais surtout ses déceptions. Son bel enthousiasme est mis à rude épreuve mais ne chancelle que pour revenir plus fort. C'est un peu comme ça qu'on grandit, nous dit le film en filigrane, avec une certaine subtilité, même (putain, disney devient subtil, je me sens vieux).
Face à Vaiana, il y a Maui, hâbleur demi-dieu égoïste, savoureusement complété par un mini-moi tatoué faisant office de Jiminy Cricket 2.0 à son propriétaire qui, comme on s'en doute assez vite, cache sous son sourire une lâcheté et un mal-être bien mortels.Il est dépassé par la perte de son précieux hameçon magique qui lui permet de se transformer/se dissimuler. Là où on pouvait craindre un débordement de pathos cher à Disney, la séquence "émotion" est assez brève, juste ce qu'il faut pour donner l'épaisseur nécessaire à Maui sans trop en faire. Au rang des sidekicks, on peut aussi citer heyhey - une insulte à la sélection naturelle la plus acharnée, qui offre le contingent d'humour absurde - une grand-mère guide spirituel, des parents tout juste esquissés sans en devenir pour autant de vagues silhouettes sous-exploitées et un océan formant un personnage à part entière, entité qui, sans visage ni voix parvient à un degré d'expressivité assez bluffante. À la fois ressort comique, narratif et poétique, il est au cœur de ce voyage initiatique comme personnage vivant, ce qui n'est pas sans poser quelques problème niveau scénario, on y reviendra.
Le casting français est impeccable. Je suis pourtant résolument contre les comiques doubleurs (être un comédien ne fait PAS de toi un doubleur, ce n'est PAS le même métier, qu'on se le dise), mais Anthony Kavanagh est parfait en Maui, le rôle est limite taillé pour lui. Cerise Calixte sait insuffler ce qu'il faut d'énergie et de force à Vaiana. Le tout au service de personnages bien campés, impeccable, vraiment.
Bleu lumière
Les visuels sont magnifiques. Pardon, je la refais, les visuels sont Magnifiques. Outre une animation d'une fluidité parfaite qui donne au dessin animé une énergie presque communicative, Vaiana est un peu le film à montrer aux détracteurs de l'image de synthèse " qui n'a pas d'âme". Les couleurs, les textures, le moindre mouvement (les animateurs se sont lâchés sur celui des cheveux, notamment) sont soignés, léchés. On sentirait presque qu'on peut toucher l'eau. Alors certes, ça chatoie, ça flashe, on est bien chez disney mais le tout reste harmonieux avec l'ambiance globale du film, qui met davantage l'accent sur l'action et l'aventure que sur la contemplation. Pour autant, jamais Vaiana ne devient une course-poursuite hystérique et sait avoir ses instants de calme, au rythme des colères et des apaisements de l'océan.
Et puis, il y a ce final. Disney nous a habitué à des conclusions souvent tonitruantes, triomphantes, où tout est bien qui finit bien. Et oui, dans Vaiana, tout finit bien à nouveau mais... cette fois-ci, il y a quelque chose de plus poétique, plus apaisé dans cette conclusion, une certaine sobriété (pour du disney) qui donne l'impression que quelque part l'influence des ghibli ou des kirikou commence à se faire sentir sur le studio, comme si Vaiana était un (petit) pas vers une certaine maturité, où les équipes Disney se détacheraient de leur cahier des charges, à peine actualisé depuis vingt ans. Pas d'amourette, une héroïne qui n'est pas une princesse, une histoire où il n'y a pas de grand méchant ni de grand gentil... Maui lui-même, dans quelque interventions hors quatrième mur pointe du doigt la recette dont le film semble vouloir s'extirper ("Tu as une robe et un animal de compagnie, t'es une princesse").
Mais pas encore assez et c'est là le problème principal du film.
Si tu commences à chanter, je te préviens, je te tape
Ça me fait assez mal de dire ça mais... les chansons sont de trop. Vraiment de trop. Pas qu'elles soient foncièrement nulles - mais pas inoubliables, si on excepte celle de Maui et celle de Vaiana, trop reprise pour ne pas finir par être pénible - mais elles semblent forcées et s'intègrent très mal dans le récit, ne lui apportent rien, voire l'interrompent carrément, un peu comme le ferait une page de pub intrusive. Une chanson doit raconter quelque chose, apporter une pierre au récit, pas se contenter de brasser de l'air, ce que la BO de Vaiana fait beaucoup trop (la chanson du village, celle du crabe à strass...), au point qu'on ne peut s'empêcher d'attendre la fin de la chansonnette pour enfin reprendre l'histoire. Trop nombreuses, pas extraordinaires, c'est un peu les chansons parce qu'on est chez Disney. Sauf que depuis "La princesse et la grenouille", les chansons qui ne s'intègrent pas au récit, ça devient récurrent, preuve que la tambouille commence à sentir le réchauffé (sérieusement, hormis "libéré, délivré", quelqu'un a retenu une chanson de "Frozen" ?). Et comme Vaiana est haletant, les chansons font encore plus tache.
Un autre point posant quelques problèmes, c'est la géométrie variable du pouvoir de l'océan. Celui-ci a choisi Vaiana et se manifeste tout au long du film pour lui apporter son aide... mais quand ça arrange le scénario, exclusivement. En fait, les limites du pouvoir de l'océan ne sont pas clairement définies. Par exemple, lors d'un affrontement clé, le bateau de Vaiana est touché par un projectile, qui l'éjecte hors de l'arène. Elle y retourne quelques minutes plus tard et cette fois, le même projectile est ralenti par l'océan, qui se manifeste enfin. Pourquoi pas avant ? C'est un peu facile de donner à son héroïne un allié surpuissant qui ne se manifeste que lorsque l'intensité dramatique en a besoin. Et ce n'est pas non plus pour montrer son côté versatile - ça pourrait - puisque ses manifestations sont toujours positives, jamais ambivalentes, ce qui justifierait qu'il ne vient en aide à sa protégé que lorsque l'envie lui prend (et serait assez cohérent avec l'image d'un océan tout-puissant mais capricieux). Non, ici l'océan est ami, quand ça colle au scénario et en est réduit à un deus ex machina assez feignant. Sinon il est juste aux abonnés absent, puisque après tout c'est un gentil. Et qu'un gentil ne saurait pas être vraiment méchant, comme toujours chez Disney. Subtil mais pas encore assez.
Nous étions explorateurs
Ce Vaiana mérite un visionnage - et même plusieurs - malgré ses quelques défauts. Poétique, rythmé, servi par un casting de personnages attachants, il comporte cette légère touche de conte moins calibré qui lui donne un charme particulier. Malheureusement, le tout puissant cahier des charges -chansons omniprésentes, gentil pas méchant pour ne pas choquer les têtes blondes - vient un peu gâcher le tableau. Au final, les studios disney sont comme les hommes de leur dernier-né : coincés sur leur île, il est temps pour eux de prendre les voiles et d'explorer autre chose. Espérons que Vaiana est le premier pas dans ce sens.