Que l'on aime ou pas son propos et ses conclusions, que la narration nous touche ou au contraire nous dérange, Valse avec Bachir ne laissera personne indifférent. Ari Folman livre un film puissant et profondément déstabilisant que ce soit par le fond que par la forme.
La forme tout d'abord c'est un documentaire sous forme d'animation ; une animation pourtant étrangement fixe où les visages bougent très peu, où les arrière-plans sont très chargés et où les couleurs sont assez denses. Mais cela s'avère profondément judicieux pour pouvoir raconter les souvenirs, les rêves, les cauchemars… Tout autant de récits où se mélange réalité et hallucination, tandis que les personnages tentent de remonter le cours d'une mémoire insaisissable et indicible. Le dessin et l'animation sont parfois imparfaits, bancals, dérangeants eux aussi à leur manière — choix artistique limitation de production ? Je ne sais pas mais cela concourt également visuellement au sentiment général du film à raconter qu'il y a un truc qui cloche.
Il y aussi la musique de Max Richter, un mélange omniprésent entre des compositions oniriques et des musiques populaires d'époque, ne laissant que très peu d'espace de silence dans le film et renforçant ici aussi cet aspect assourdissant et insaisissable de la mémoire.
Mû par un désir de compréhension, Ari Folman cherche à retrouver une mémoire perdue : celle de ses années de soldat au Liban au cœur du conflit israélo-palestinien. Il va ainsi interroger ses amis, ses anciens compagnons d'armes, des journalistes et découvre rapidement qu’eux aussi n’ont que des mémoires parcellaires où les faits se mélangent à l'imaginaire. Au fil des souvenirs et des anecdotes se dessinent l’incongruité, l'absurdité et l'horreur de la guerre jusqu'au dénouement final — si on peut appeler ça un dénouement — la révélation de cette mémoire cachée : la participation indirecte mais réelle d’Ari Folman au massacre de Sabra et Chatila.
Si son documentaire permet de remettre en lumière des faits terribles qui se sont déroulés 25 ans plus tôt, le parti pris du réalisateur est déconcertant. En effet le documentaire et raconté d'une voix très neutre et distanciée. On peut le percevoir comme une volonté du réalisateur d'en faire le récit le plus objectif possible, le plus factuel, sans rajouter d'émotion ou de jugement. Mais on pourrait également le percevoir comme une forme de déni ou de dédouanement. Si d'un côté tous sont poursuivis par des rêves ou des cauchemars — indiquant qu'ils n'ont pas fait la paix avec leur propre passé — le film se borne à une exposition des faits la plus factuelle possible. Mes connaissances en géopolitique israélo-libano-palestinienne étant limitées je ne chercherai pas à juger des vraies émotions d’Ari Folman ni de la puissance qui a pu avoir son film dans son pays. Ce qui pour moi en 2021 peut me paraître une critique trop timide de la responsabilité des différents protagonistes de la guerre était peut-être en 2008 et encore aujourd’hui un vrai brûlot dans son pays et même dans un monde qui ne veut pas endosser ou faire endosser la responsabilité de cette guerre.
Valse avec Bachir est un documentaire réussi et important tout simplement parce qu'il remet en lumière ce que beaucoup préféraient laisser dans l'ombre. Il a su mettre à profit de manière ingénieuse l'animation au service d'un récit dur et effroyable. Mais ce film est également déroutant par son point de vue unilatéral et impassible, comme s'il lui manquait une étape qui va au-delà de la reconstitution du souvenir. Peut-être viendra-t-elle un jour.