SPOILER
Victoria est une jeune espagnole fraîchement débarquée à Berlin. Cela fait à peine trois mois qu'elle est ici. Elle ne connait personne, elle n'a pas d'amis. Alors elle sort, elle s'amuse, elle drague le barman en boîte de nuit. Mais ce soir là, Victoria va faire la connaissance de Sonne et de sa bande de potes. Des vrais Berlinois. Des personnes qui lui proposent de découvrir le "vrai" Berlin. Alors le spectateur commence à suivre une déambulation nocturne d'un groupe de jeunes, entre alcool, cigarettes, échanges de regards menaçants avec des inconnus, rires, méfiance, la recherche d'une épicerie encore ouverte, d'un toit perché pour squatter et se raconter sa vie. La vraie vie, innocente, joyeuse, existante.
Mais Victoria travaille dans quelques heures. Elle doit ouvrir un café à un pâté de maisons où elle est payé 4 euros de l'heure. Sonne la raccompagne par gentillesse et parce qu'on a compris qu'il en craque pour la jeune espagnole. Il commande un chocolat, fait le mariole autour d'un piano, demande à Victoria de lui montrer ses talents de musicienne. L'échange devient intime, on attend le baiser imminent.
Mais cette idylle nocturne va être coupée court, quand Boxer, l'un des potes de Sonne, débarque au café, le visage figé et tirant à tout va sur sa cigarette. La bande de Berlinois doivent faire un job. Victoria comprend que l'histoire est louche. Mais elle va finir par suivre la bande, aveuglement, par goût du risque ou par amour. Oui, Fuss a trop bu pour son anniversaire, il n'est pas capable de conduire. Victoria se met au volant d'une voiture volée et roule vers un point de non retour... En l'espace d'un instant, d'un choix, la vie bascule.
"Victoria" est un film tout simplement incroyable. A l'heure où j'écris ses lignes, le premier film du jeune acteur Schipper me hante encore. Le spectateur suit un parcours en plan-séquence et se laisse totalement guider. Et le long-métrage évolue de manière crescendo, ce qui nous fait passer par toutes les émotions, tous les états. "Victoria" est avant tout un film sur l'humain, un film qui transpire le vécu par tous les pores. On est avec Victoria, avec Sonne, avec la bande. Quand ils sont dans l'innocence, le spectateur l'est aussi. Quand le parcours tourne au drame et que tout les personnages basculent dans une panique et une peur profonde, le spectateur se projette avec eux. C'est ça le cinéma. Quand il n'y a plus de barrière entre le spectateur et l'écran, c'est que la magie a opéré.
Au final, le plan-séquence de 140 minutes (qui est le principal critère de promotion du film) n'est pas l'élément central du film. Cette technique de réalisation accentue toutefois cette idée de parcours et crée des liens intimes avec les personnages exposés. La caméra se balade mais revient toujours à Victoria, son point de vue, sa personne. C'est un processus d'identification certes "simple", mais qui fonctionne parfaitement. Je dois avouer que le film est techniquement réussi. Il y a un seul moment où j'ai deviné une coupe grâce à l'astuce du plan noir.
Par ailleurs, l'utilisation du plan-séquence rend la réalisation très énigmatique : la puissance de jeu des personnages est tellement remarquable que l'on ne sait pas si cela résulte d'une préparation militaire où si l'on est dans une sorte d’improvisation dirigée.
Car oui, "Victoria" épate surtout de part sa distribution. Encore une galerie d'acteurs inconnus au bataillon mais qui nous giflent les uns après les autres. Laia Costa en tête d'affiche, qui offre une palette de jeu considérable entre joie, folie, innocence, fêlure, peur et tristesse. Même addition pour l'impressionnant Frederick Lau, juste impressionnant de vérité. Le reste de la bande opère un sans faute également.
Difficile de qualifier "Victoria" en un seul mot, même si le film est finalement un objet clairement descriptible dans sa substance première. Oui mais voilà, il y a beaucoup de choses à chercher derrière, des choses qui viennent nous toucher directement. Il y a des moments de grâce pure, portés par des acteurs de génie. Il y a des séquences qui vont plongeront dans un état de stress inattendu (la séquence du braquage étant un exemple parlant). Il y a des moments déchirants qui font retentir un silence émotionnel dans la salle.
Je suis tombé amoureux de ce film, de ces acteurs. Schipper m'a donné une grosse claque et vient de me rappeler pourquoi j'aime le cinéma.