Je l'ai vu une seconde fois sans avoir la tête assaillie par des agressions répétées de fièvre brulante, et ça a tout changé.
Sofia Coppola revisite ici le conte de fée, où de jeunes garçons d'une banlieue chic quelque part au Michigan tentent de sauver, avec le peu de moyens qui s'offrent à eux, cinq jeunes filles en détresse, séquestrées dans leur propre maison.
L'histoire est vraiment bien menée, et le ton léger dénonce d'autant mieux cette vision parfaite que le monde porte sur l'adolescence, ainsi que la société puritaine et extremiste qui survit tant bien que mal dans ce 21ème siècle iconoclaste (ou en l'occurence pour le film, de ce 20ème siècle iconoclaste).

Le film ne m'a pas ému à proprement parler, bien qu'il traite de la mort de cinq adolescentes qui ne demandaient qu'à vivre, et à vivre simplement heureuses. Mais s'il ne m'a pas ému, il m'a évidemment destabilisé. Impossible pendant plusieurs heures après la fin du film de se regarder dans un miroir et de se dire "Pourquoi ça leur est arrivé ? Pourquoi ça ne m'arriverait pas ?".
Le film soulève ainsi bon nombre de questions, qui restent invariablement sans réponse claire et concise, et qui pourtant nous obligent à prendre quelques minutes de réflexion. La société dans laquelle nous sommes, au lieu d'être libérale et émancipée, n'est-elle pas en fait castratrice ? Ne sommes nous pas tous assujettis à des forces supérieures à la notre, et dont il est impossible de se libérer ? Dès l'enfance, nous sommes conditionnés par nos parents à un certain mode de vie, qui nous inculquent leurs propres valeurs et leurs propres idées: si l'on tente désespérement de s'en défaire, est-on automatiquement contraint au suicide ? L'exemple de Lux semble nous prouver que oui, et c'est plus qu'effrayant.

Par ailleurs, le film est si bien mené qu'une question évidente se pose dès la mort de Cecilia: les parents n'ont-ils pas tué leurs enfants de leurs mains ? Cette hypothèse reste très plausible, mais le spectateur reste dans le doute jusqu'au bout, et ça, ça fait un bon point de plus pour Coppola. (Et de toute façon, si les parents n'ont pas tué leurs filles directement, il semble évident qu'ils ont leur part de culpabilité dans le suicide de leurs filles.)

Néanmoins, il me semble dommage que le film ne se focalise que sur Cecilia et sur Lux, laissant les autres soeurs dans l'ombre. Mais on oublie vite ce détail quand on se laisse emporter par le film, et évidemment par la BO, parfaite jusqu'à la fin et qui contribue assurément à l'ambiance du film; et Playground Love qui revient incessament jusqu'à la toute fin, c'est un pur délice.

Je n'ai pas lu le livre Jeffrey Eugenides, donc aucune comparation possible de ce côté là, mais il me semble que l'oeuvre de Sofia Coppola est une de ces oeuvres à part, qui même si elles sont tirées de livres, gardent un caractère spécial et propre au réalisateur. De plus, ce film est un enchantement, et même s'il s'éloigne trop du roman, il semble que ce ne soit pas une honte de dire "Sofia Coppola s'est inspiré de mon oeuvre !". Pour une fois, on a ici un film qui semble excellent pour en être un inspiré par un roman, et c'est un soulagement de voir que ça existe encore !
Elensar
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le 11 mars 2011

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