Chronique de la vie d'un village paumé du Kurdistan arménien.De nos jours,tous les pays,y compris ceux qui n'existent pas,ou pas encore,ont leur cinéaste officiel.Pour le Kurdistan,cette région répartie sur plusieurs états,c'est Hiner Saleem,et ça aurait pu tomber plus mal.Il a été révélé en 98 par son premier long,"Vive la mariée...et la libération du Kurdistan",titre militant s'il en est,et poursuit depuis une carrière discrète mais très intéressante,dont "Vodka Lemon" est une brillante illustration.Saleem y dresse un portrait sans concessions de ce coin oublié du globe en proie à une pauvreté dramatique.Les jeunes hommes s'exilent afin de trouver du travail ailleurs,les filles cherchent à faire un mariage "rentable" ou font des passes.Il ne reste quasiment que les anciens,qui essaient désespérément de survivre avec des revenus de misère.Comme si ça ne suffisait pas,les conditions climatiques sont d'une dureté exceptionnelle,entre neige omniprésente,vents violents et températures glaciales.C'est le putain de tiers-monde là-bas,mais un tiers-monde frigorifique!Les derniers habitants du lieu bradent progressivement leurs ultimes biens dans des brocantes,et picolent de la gnôle afin de combattre le froid et le découragement.Certains d'entre eux regrettent ouvertement le temps où ils dépendaient de l'U.R.S.S.,quand ils avaient peu de liberté mais un niveau de vie minimum garanti.Ils sont libres,certes,mais surtout de se débattre au fond de la fosse à merde.Car dans cet univers où le communisme a fait place au capitalisme ultra-libéral,ces gens n'intéressent plus personne,donc on les laisse crever à petit feu.Pas de ressources naturelles à exploiter qui pourraient attirer les requins de l'oligarchie mafieuse,alors ciao les mecs!Le film est largement déprimant mais Saleem y incorpore cependant des touches d'humour et d'ironie qui égaient quelque peu le tableau.Il procède par des scènes elliptiques qui relèvent d'un style baroque très "Pays de l'Est",à la Kusturica,le genre "on est dans la mouise mais on sait rigoler malgré tout".Il y a toujours dans ces étendues désertes des gens,des animaux ou des véhicules qui traversent l'image,notamment des hommes à cheval,manière de signifier qu'on passe dans cet endroit mais qu'on ne s'y arrête guère.De la même manière,le réalisateur montre ses personnages trimballant partout des chaises sur lesquels ils s'assoient,devant chez eux ou au bord de la route.Car il n'y a pas de bancs,et s'asseoir dans la neige c'est pas terrible.Le seul service public semble être un bus délabré,et ces kurdes sont obligés de faire des dizaines de kilomètres pour aller chercher une simple lettre à Erevan,la capitale,car le facteur est en option.La réalisation ne manque pas d'ampleur et le cinéaste utilise talentueusement la tragique beauté de ces paysages désolés,de ces maisons sinistres,de ces routes défoncées.Il a un incontestable sens du plan et de la lumière,ce qui occasionne nombre de scènes de toute beauté,bercées par le "Tombe la neige" d'Adamo,contrepoint ironique interprété par des chanteurs locaux.Tout juste peut-on lui reprocher une recherche trop systématique du détail insolite,ce qui tourne au gimmick de mise en scène.Mais ce qu'il réussit le mieux,c'est la description des personnages,dont il fait ressortir le courage et la dignité.En dépit de leurs conditions de vie apocalyptiques,ils se montrent encore capables d'être solidaires et même d'éprouver de l'amour.Les acteurs,inconnus,sont tous excellents et ont de vraies gueules de cinéma,principalement le dénommé Ivan Franek,sorte de Vittorio Mezzogiorno slave.