Ce texte n’est pas recommandé aux personnes allergiques à la molécule Divulgachage©
Les films qui traitent de l’univers psychiatrique et de la « folie » sont toujours un exercice délicat. Un numéro d’équilibriste où chaque scène peut être le pas qui fera sombrer l’œuvre dans la caricature, le ridicule ou le morbide. Avec vol au dessus d’un nid de coucou, Milos Forman évite les écueils imposés par cette traversée grâce à l’addition d’un superbe adaptation du roman de Ken Kesey, d’une pré production méthodique et d’un casting cinq étoiles.
Ouverture. Un homme arrive, menotté, escorté par des membres des forces de l’ordre. Randal McMurphy. Il est accueillit au sein d’un établissement psychiatrique où des experts doivent procéder à son évaluation psychologique afin d’estimer si sa place est dans un pénitencier ou dans un hôpital. Personnage égoïste, fainéant, violent et impulsif, McMurphy est campé par un Jack Nicholson envoûtant, totalement diffusé dans son rôle. C’est au sein d’un groupe de patients et face à l’infirmière Mildred Ratched que McMurphy va se révéler et évoluer de l’égocentrisme vers l’altruisme.
Le film est construit sur l’idée des oppositions. Celle de cette ouverture où McMurphy arrive prisonnier et le dernier plan où le personnage du chef indien s’évade de l’établissement enfin libre. Cette dichotomie se répète tout au long de l’histoire en enchaînant les scènes dramatiques à celles plus légères dans le ton. A chaque action initiée par McMurphy s’oppose une réaction de l’autorité médicale. Le pinacle de cette structure narrative se dévoile à la fin du film quand après une nuit de fête mêlant vices (musique, alcool, jeux et sexe) la réaction culmine avec l’humiliation de Billy, son suicide, l’agression de Ratched et la trépanation de McMurphy. Cette escalade dans la violence, autant physique que psychologique, est la conséquence exclusive du conflit nourrit entre McMurphy et Ratched. Lui, dans un premier temps pour son profit personnel et ensuite avec une certaine forme d’altruisme, elle pour garder l’autorité sur le groupe de patients. Si McMurphy peut être considéré comme un monstre (c’est un criminel avéré coupable notamment d’un viol), Ratched utilise l ‘humiliation et la manipulation pour asseoir son autorité.
Vol au dessus d’un nid de coucou où l’histoire d’une illusion car le coucou n’a pas de nid. Il faut bien comprendre le double sens accordé ici au mot coucou. Dans sa première acception il fait référence à l’oiseau alors que le terme cuckoo désigne un idiot ou imbécile dans la langue de Donald Trump. Le coucou n’ayant pas de nid, qui sont donc ses occupants ? Certainement pas des dingues car comme McMurphy l’apprendra il s’agit en très large majorité de patients volontaires. Volontaires pour se soumettre à un système castrateur et infantilisant idéalement gouverné et représenté par l’infirmière Ratched. Une reine toute puissante dans un monde d'hommes . Quand la recherche du bonheur passe par la suppression de liberté et la coercition. Heureux les ignorants. Mais cette illusion va se fissurer à l’arrivée de McMurphy qui va injecter du chaos dans l’ordre, des pulsions dans l’intellect, de l’humain dans la mécanique. Une lutte de l’individu face à la norme.
Point de bascule du film, le personnage du chef Sampson. Sourd et muet pour aborder le rôle du pur observateur au début, c’est avec sa prise de parole que survient électrochoc chez McMurphy, tant littéralement que métaphoriquement. La prise de conscience du système qui rabote sa personnalité jour après jour, faisant de lui un élément de plus dans la cour de la reine Ratched. C’est en se tournant vers les autres que McMurphy va s’ouvrir au colosse indien qui puisera en lui le courage de la fuite synonyme de liberté. Avec cette fin hautement symbolique et d’une puissance émotionnelle d’une rare intensité. Réduit à l’état de pantin inerte, McMurphy sera pourtant le détonateur dans l’esprit du chef Stampson qui tuera le corps de son ami après que l’institut ait détruit son esprit.
La mise en scène de Milos Forman s’épanouit dans la sobriété. Sans effet de manche, ni mouvement compliqué, ni cadrage sur travaillé, elle se concentre sur les visages et les expressions. La richesse sidérante du jeu des acteurs accapare toute l’attention et la caméra se fait oublier deux heure durant. Même constat au niveau de la musique qui sait faire vibrer la corde sensible lorsque qu’un trait doit attendre le cœur du spectateur. Le mythique thème principal composé par Jack Nitzsche transcende un final déjà généreux en intensité émotionnelle. Film nécessaire et toujours d’actualité, Vol au dessus d’un nid de coucou pourra choquer par ses pratiques médicales d’un autre âge (le roman date de 1962) ou par la violence de sa conclusion. Mais il reste avant tout un superbe message d’espoir pour l’individu qui cherche à exister dans un monde de plus en plus normalisé, aseptisé et dirigé.