Il fut un temps où, jeune et naïf, je pensais que Nicolas Cage était un bon acteur. Et que John Travolta ne cabotinait pas. Et tout ça, sans que l'on parle de science-fiction, non, je pensais à de vrais films (bon, à ce moment-là, "vrai film" se limitait souvent à "film d'action"). Pour étayer cette étrange théorie, je citais volontiers "Volte/Face" et le jeu d'acteur tout en sourcils et sourires inquiétants des deux larrons. Hier, ce fut donc l'occasion pour moi de redécouvrir ce que j'appelais mon petit chef d'oeuvre de Cage. Entre temps, j'ai enfin vu Chasse à l'Homme, avec Jean-Claude van Damme, étrange film où le héros est mal aimé à l'écran et le méchant un brin trop méchant. Et j'ai découvert que Nicolas Cage avait une longue carrière de spéléologie cinématographique, l'enfonçant toujours plus loin sous terre, à la recherche d'un absolu d'une pureté qu'aucun autre acteur n'a eu le courage d'atteindre avant lui. Et que John Travolta, finalement, c'était qu'un scientologie bedonnant. La fin de l'innocence, en somme.

Bon, d'abord, Volte/Face, c'est un pitch un poil démesuré : John Travolta y est Archer, un mec du FBI plutôt teigneux et pas très agréable, qui traque sans relâche un terroriste du nom de Castor Troy, incarné par un Nicolas Cage sous amphétamine. Ce dernier, outre sa prise de drogue massive et sa capacité à draguer à peu près tout ce qui porte une jupe, a aussi ourdi un plan à base de kilotonnes de neurotoxine brûleuse de méninge qui, alliée à plusieurs centaines de kilos d'explosifs vont se répandre dans l'atmosphère aussi sûrement qu'un mildiou n'attaquant que les plantations de neurones. Pour éviter à Los Angeles de se réveiller en bavant sa matière grise (enfin, de le faire plus qu'à l'ordinaire), Archer doit arrêter son Némésis... seulement voilà, plutôt que de l'envoyer dans une prison fédérale, le bougre l'envoie dans le coma. C'est ballot. On entre dans la partie tricky du programme : Archer doit donc prendre le visage de son charmant ennemi de toujours, remplacer le sien et ainsi, entrer dans ladite prison fédérale afin de faire parler le frangin Pollux Troy, qui ne révélera la position de la bombe qu'à son frère chéri. Evidemment, à partir de cette mauvaise idée, plein de mauvaises idées vont commencer à pleuvoir sur notre cher boy-scout et sa tronche de malfrat. En particulier le fait que le vrai Castor se réveille et lui pique son visage en retour.
Pas la peine de hurler au spoiler, c'est un peu là-dessus que repose tout le film : le plaisir assez jouissif de voir les deux acteurs passer du méchant au gentil et vice-versa. Parce qu'il faut bien avouer que les deux bougres s'en donnent quand même à coeur-joie. Alors oui, certes, ça pourrait tenir du cabotinage outrancier, mais faut bien avouer que c'est quand même plutôt jouissif. Le personnage de Castor Troy, s'il n'est pas du tout crédible, tient plus du Joker que du mastermind. C'est un type redoutablement imprévisible, qui passe son temps à se droguer, à baiser et à poser des bombes un peu partout. Le genre de gars un brin sociopathe mais qui plaît aux dames et fascine ces messieurs. Du coup, c'est le moment pour en prendre la tronche avec de la roue libre qui va dans le bon sens : pour une fois qu'on peut voir des acteurs s'éclater à faire les connards, c'est plutôt jouissif. Les grands sourires hallucinés de Nicolas Cage m'ont beaucoup impressionné quand j'étais plus jeune. Et puis, ça ouvre à tout un tas de situation un poil tendu, du genre Castor au visage d'Archer qui tente de ressouder la cohérence familiale pour faire vivre sa couverture toute nouvelle, en mode décomplexé et Archer au visage de Castor obligé de prendre de la drogue, de tabasser à tout va, tout en souriant (et en pleurant à moitié). Cage tient quand même là son putain de rôle : Archer, à mesure qu'il se fait passer pour le mec qui a buté son gamin (ouais, on oublie ça, en fait !) sombre progressivement dans la folie et c'est plutôt cool. D'autant que le réalisateur, ce bon vieux John Woo, a le mérite de ne pas rendre le truc grandiloquent : ça passe tranquillement dans le scénario, mais la narration ne s'arrête jamais dessus. Pas de séquence en mode flou, où le personnage marche bourré, sans comprendre ce qu'il lui arrive. C'est un film d'action, motherfucker, pas d'introspection bulgare !
D'ailleurs, côté action, John Woo impose son style, comme d'hab. On du gunfight bien chorégraphié, avec toujours la plus-valu stylé du gaillard. On se tire dessus, certes, mais avec classe. On fait des mouvements totalement délirants, certes, mais au ralenti. Et tant qu'à faire, on discute avec son rival qui a piqué son visage à travers un miroir, avant de braquer son propre reflet. Putain de classe. On échappe pas non plus aux obsessions de M. Woo. Pour le meilleur, comme le double-flingue en or de Castor, ou le pire, l'invasion soudaine de colombes dans un gunfight en pleine église, le tout en mode slomo. Bon, cela tient du gimmick, mais j'avoue que je ne connais pas assez bien la filmographie de John Woo pour savoir à quel point c'est récurrent - je connais quand même la légende de ma colombe qui précipite des ralentis à tout-va, quoi ! C'est juste que ça fleure bon la signature, même pour le néophyte que je suis. M'enfin, on ne va pas cracher dans la tambouille, le plaisir coupable qu'instille ce jeu de va et vient, entre méchant et gentil, ça a quand même bien de la gueule.

Entre "Broken Arrow" et "Chasse à l'homme", j'avoue que c'est quand même "Volte/Face" que je garde en mémoire comme le film de John Woo de "ces années-là", avec son pitch abradabrantesque, ses acteurs en roue libre et ses ralentis plein de colombes. Les acteurs y font des tonnes, s'élancent dans un rodéo de la roue libre la plus libertaire (et libertine) possible, mais le contexte fait que... ben pour moi, ça marche toujours pas mal. C'est le film qui élève le cabotinage au niveau impérial et le rend même cool et profitable au délire ambiant. Dommage que John Travolta n'ait toujours pas saisi que ça s'arrêtait à Volte/Face, ce type de jeu... Toujours est-il qu'on a là un classique essentiel, qui mérite d'être vu et revu, juste par fanboyisme aigu et assumé.
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le 18 nov. 2014

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