Il y a malheureusement un problème irréductible avec les expériences : elle sont toujours intéressantes, mais parfois elles ratent. J'ai bien peur que ce ne soit le cas du dernier opus, crépusculaire forcément, d'Alain Resnais.

Non que tout soit à jeter dans cet étrange objet, qui mêle si étroitement théâtre et cinéma, réalité et fiction, présent et passé, qu'on ne sait même plus si l'échec est affaire d'accident ou de volonté. Mais l'on s'ennuie, un peu, et il est difficile de ne pas se sentir agressé par la laideur ambiante, de l'image, des décors, de la musique absurde et péniblement démodée.Peut-être que la déception que l'on ressent face au film est préméditée, comme si en guise de testament le réalisateur voulait nous dire : la vie ne sera jamais aussi belle que ce qu'on en aura imaginé. En d'autre termes : circulez (ne vous arrêtez pas), il n'y a rien à voir (et tout à inventer).

En maitre des marionnettes facétieux et cruel, Resnais a choisi de construire son film sur une pièce d'Anouilh, auteur aussi délaissé aujourd'hui qu' adulé dans les années 40 et 50, pessimiste devant l'éternel, mais d'un pessimisme qui à mes yeux ne manque pas d'élégance et de panache. Un auteur qui lui aussi adorait les mises en abyme et le théâtre dans le théâtre. La pièce en question ? Eurydice, qui reprend le mythe grec pour le propulser dans notre monde moderne, et en faire une tragédie de la mémoire (thème de prédilection de Resnais, comme par hasard) : si les hommes vivent si mal, c'est qu'ils sont entourés de tous les fantômes de leur passé.

Et de fantômes, ce film en est plein, qui scrute sans pitié des comédiens (chacun ici joue "son propre rôle") revivant maintenant une pièce qu'ils ont joué jadis, face à un écran qui leur montre une jeune troupe en train de représenter Eurydice. Eternel recommencement, obsessionnel, qui parle plus de mort que de vie. Les comédiens, ces pâtes à modeler sans personnalité véritable, n'en sortent pas grandis, eux qui préfèrent se vautrer dans leurs souvenir plutôt que de laisser le miracle de la jeunesse s'accomplir. Mais après tout le mythe d'Orphée ne dit peut être pas autre chose : ne nous retournons pas, jamais, sur ce qui est perdu pour toujours. Au passé moribond il faut préférer le présent, seul cadeau que la Vie est en mesure de nous faire.
Chaiev
5
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Résumons-nous : Alain Resnais

Créée

le 18 mars 2012

Critique lue 1.2K fois

37 j'aime

13 commentaires

Chaiev

Écrit par

Critique lue 1.2K fois

37
13

D'autres avis sur Vous n'avez encore rien vu

Vous n'avez encore rien vu
Chaiev
5

Tristes Cires

Il y a malheureusement un problème irréductible avec les expériences : elle sont toujours intéressantes, mais parfois elles ratent. J'ai bien peur que ce ne soit le cas du dernier opus, crépusculaire...

le 18 mars 2012

37 j'aime

13

Vous n'avez encore rien vu
Grard-Rocher
9

Critique de Vous n'avez encore rien vu par Gérard Rocher La Fête de l'Art

Au cours d'une communication téléphonique des acteurs qui ont interprété "Eurydice" de Jean Anouilh apprennent le décès d'Antoine d'Anthac. Ce personnage était une sommité dans le monde de l'art...

25 j'aime

6

Vous n'avez encore rien vu
HugoLRD
8

Ô étrange mise en abyme...

Je ne me sens pas capable d'écrire une réelle critique au sujet de ce film, mais je vais essayer d'exprimer de la plus cohérente des manières ce que j'en ai pensé. Je dirai simplement que c'est un...

le 30 sept. 2013

6 j'aime

Du même critique

Rashōmon
Chaiev
8

Mensonges d'une nuit d'été

Curieusement, ça n'a jamais été la coexistence de toutes ces versions différentes d'un même crime qui m'a toujours frappé dans Rashomon (finalement beaucoup moins troublante que les ambiguïtés des...

le 24 janv. 2011

279 j'aime

24

The Grand Budapest Hotel
Chaiev
10

Le coup de grâce

Si la vie était bien faite, Wes Anderson se ferait écraser demain par un bus. Ou bien recevrait sur le crâne une bûche tombée d’on ne sait où qui lui ferait perdre à la fois la mémoire et l’envie de...

le 27 févr. 2014

268 j'aime

36

Spring Breakers
Chaiev
5

Une saison en enfer

Est-ce par goût de la contradiction, Harmony, que tes films sont si discordants ? Ton dernier opus, comme d'habitude, grince de toute part. L'accord parfait ne t'intéresse pas, on dirait que tu...

le 9 mars 2013

244 j'aime

74