Voyage à deux
7.7
Voyage à deux

Film de Stanley Donen (1967)

mai 2011:

Cela faisait tellement longtemps que je l'avais vu, ma mémoire est si naturellement feignantasse et mon imagination si espiègle que j'étais persuadé lors de cette revoyure que je ne l'avais pas aimé et que le film se terminait sur une rupture. Avant de mettre de l'encre sur mon cahier de notes, je suis allé reluquer ce que j'avais bafouillé jadis. En fait j'avais bien entendu aimé le film malgré une photo que je considérais comme trop brumeuse lors du visionnage au "Cinéma de minuit".

La triste médiocrité du dvd (y a qu'à voir les horribles captures que j'ai passablement collectées), acheté en Autriche il y a longtemps, ne me permet pas de cerner comme il se doit le travail de Christopher Challis. On attendra l'édition d'un Criterion ou l'on tentera celle de Carlotta la prochaine fois.

Je me suis bien plus concentré sur le travail d'écriture de Stanley Donen : les dialogues et la structure en trois parties, trois voyages, trois époques de ce couple sont finement ciselés, accordés comme un orchestre qui suit l'agitation calculée du bâtonnet et produit une mélodie équilibrée, juste. Effectivement, le film parait toujours sur le fil du rasoir mais la vitesse des répliques, la rapidité de succession des scènes lui donnent donnent une force dans la persuasion comme une volonté farouche de jamais tomber, des certitudes en quelque sorte qui n'ont rien d'illégitime. Cette assurance se transmet tout de suite au spectateur. On ne peut craindre ni l'ennui, ni la perte d'orientation.

Seule subsiste l'incertitude qui concerne les personnages, leur histoire d'amour. Où cela mène-t-il? Sur ce point on sait seulement qu'ils ne deviendront jamais un couple assis à la même table qui ne se regarde pas et qui ne se parle pas. Le film est une très belle réflexion sur le couple, la routine, la communication et donc cette volonté ou non d'ériger un échafaudage compliqué, de construire un truc un peu branlant, menaçant de s'écrouler à la moindre tempête ou au contraire devant l'absence du moindre souffle de vie.

Fragilité et robustesse se chamaillent, se mettent chacun leur tour sur le devant de la scène dans une espèce de course folle qui prend pourtant une vie. A priori, comme ça, j'ai envie de souligner la difficulté d'une telle entreprise : vouloir filmer cette intimité, cette très lente évolution d'un couple. C'est pour cela que je disais en préambule que le travail d'invention, d'écriture et de mise en scène est assez remarquable. Oh, ce n'est pas un scoop, Stanley Donen était un cinéaste de très grande envergure avec un style et une élégance qui illustrent à merveille la grande intelligence de ses œuvres.

Il fit le bon choix en s'entourant ici d'Albert Finney et Audrey Hepburn. Le premier est tout en rudesse, une virilité agressive et hautaine d'abord, peu encline à la démonstration sentimentale, l'expression restant sauvage.
Face à lui, Miss Hepburn reste longtemps spectatrice, tantôt affligée, tantôt attirée, finalement conquise, petite fille en réserve, dominée par la brutalité du gaillard. Progressivement, la mollesse amoureuse de son personnage laisse apparaitre un caractère de plus en plus affirmé et révolté tout en gardant une réelle affection pour son homme.

Ce sont là deux compositions très compliquées à manier car il leur a fallu des trésors de subtilité pour ne pas rendre leurs personnages antipathiques tout en construisant une complicité lisible, garante du sort de tout le film. Tâche foutrement ardue qu'ils parviennent à accomplir avec brio.

On aimera aussi la finesse du scénario qui responsabilise tour à tour chacun des personnages, nous les fait découvrir avec délicatesse mais sans avantager l'un plus que l'autre, sans non plus tomber dans la caricature des histoires de couples vacillants. Le travail d'écriture, encore une fois, est fort habile et pas uniquement sur les dialogues mais également dans l'esprit et l'équilibre général. Bref, c'est intelligent.

A noter que la partition d'Henri Mancini est une nouvelle fois au diapason des exigences d'un tel projet : elle est d'une rare élégance, jamais tapageuse, elle s'immisce dans la conversation avec une belle discrétion.

Une bien jolie comédie romantique.
Alligator
7
Écrit par

Créée

le 18 avr. 2013

Critique lue 328 fois

2 j'aime

Alligator

Écrit par

Critique lue 328 fois

2

D'autres avis sur Voyage à deux

Voyage à deux
Melly
10

La Bitch et le Bastard

Moi aussi je veux faire un voyage à deux sur les routes avec une décapotable ! Moi aussi je veux faire du stop ! Moi aussi je veux dormir dans un tube de béton ! Moi aussi je veux que ma bagnole...

le 31 oct. 2012

39 j'aime

16

Voyage à deux
Deleuze
9

Caprice des Dieux

Enfin je peux écrire cette critique, enfin j’ai passé mon oral de français et je suis en vacances, enfin je peux réellement dire que je hais Andromaque de Jean Racine. Voyage à deux, un titre...

le 5 juil. 2013

31 j'aime

8

Voyage à deux
Docteur_Jivago
9

Le Drame Bourgeois

Si le Cinéma offre plusieurs possibilités pour rêver, notamment avec les comédies romantiques, Two for the Road fait partie de celles qui nous ramènent vers une certaine réalité, qui n'est pas sans...

le 25 août 2020

29 j'aime

5

Du même critique

The Handmaid's Tale : La Servante écarlate
Alligator
5

Critique de The Handmaid's Tale : La Servante écarlate par Alligator

Très excité par le sujet et intrigué par le succès aux Emmy Awards, j’avais hâte de découvrir cette série. Malheureusement, je suis très déçu par la mise en scène et par la scénarisation. Assez...

le 22 nov. 2017

54 j'aime

16

Holy Motors
Alligator
3

Critique de Holy Motors par Alligator

août 2012: "Holly motors fuck!", ai-je envie de dire en sortant de la salle. Curieux : quand j'en suis sorti j'ai trouvé la rue dans la pénombre, sans un seul lampadaire réconfortant, un peu comme...

le 20 avr. 2013

53 j'aime

16

Sharp Objects
Alligator
9

Critique de Sharp Objects par Alligator

En règle générale, les œuvres se nourrissant ou bâtissant toute leur démonstration sur le pathos, l’enlisement, la plainte gémissante des protagonistes me les brisent menues. Il faut un sacré talent...

le 4 sept. 2018

50 j'aime