"Never compromise. Not even in the face of Armageddon"

The Times they are a changin' - Bob Dylan.


Parfois, c'est une affiche de film, c'est un mot qui te bloque.
"Par le réalisateur visionnaire de 300".


Une de mes plus grosses déceptions. Alors tu passes ton chemin en spectateur prudent.
Puis viens un après-midi à comater sur ton canapé, le film se lance, machinalement. Version director's cut, trois heures. Trois heures, ça va me permettre de dormir ça...


Et trois heures plus tard, tu essuies discrètement une larmichette qui perle au coin de ton œil, un peu d'eau qui vient humidifier ces yeux que tu n'as pas une seule fois fermé et qui commencent à être vachement irrités.


Watchmen c'est un monument dans ma liste de films de super-héros. Moi qui n'aime pas le genre au cinéma, que j'ai tendance à trouver pauvre, ma surprise vient d'un réalisateur parfois maladroit, mais d'un type dont je ne peux plus nier l'implication, la prise de risque et la vision. En tout cas, moi je ne le dénigrerai plus gratuitement, ce type là.


Watchmen c'est l'histoire d'un développement mouvementé, d'une gestation longue, de plusieurs réalisateurs changeants, de droits passants d'une compagnie à une autre. On ne peut s'empêcher de se demander ce que ça aurait donné avec Giligam aux manettes, non ?


Puis finalement, en 2005 la Warner va finir par contacter Snyder, le casting se fera bon an mal an. On peut pas dire que Watchmen sera un succès commercial, ni même un échec. Au niveau critique, ça sera kif-kif aussi...


Pourtant dès le générique, il a su me conquérir, moi, Watchmen. Lorsque retentissent les premières notes de The time there are a changin, que Bob Dylan accompagne quarante années d'histoire des supers-héros, développant en creux de cette longue complainte lancinante l'uchronie servant de trame de fond au film. En trois minutes se trouve brossé le tableau des Minuteman et leur implication dans la seconde guerre mondiale. Le temps s'égrène, les faits marquants figés éternellement par le flash de photographes capturant la mort de certains, la folie et la déchéance de ces héros masqués. Puis une seconde génération prend la place, plus chahutée.


On reconnaît juste le Comédien qui fait la liaison entre les deux groupes, son sourire narquois marquant la bobine. La puissance de la musique décuple ces quelques scènes et tout y est évoqué, la part d'ombre des héros, leur rôle, leurs déboires, les cinq mandats successifs de Nixon, l'amendement Keene et la mise au ban des héros masqués.


Watchmen se trouve, autant du point de vue narratif que visuel, proche du comics dont il est une adaptation relativement fidèle – moins la fin, je vous dis ça c'est un ami fan du comics qui me l'a dit, je ne fais que retranscrire ses paroles.


Le point marquant de ce métrage réside dans la force de ses héros, trois particulièrement qui transcende l’œuvre et offre une vision d'un héroïsme dévoyé : je parle évidemment de Rorscach , Le Comédien et le Dr Manhattan qui renvoie tout trois à une facette de l'Amérique tourmentée des années 80 et qui interrogent sur le statut de héros.


Commençons par Rorscach dont la voix-off accompagnera longuement le spectateur. Névrotique, incontrôlable, bête humaine assoiffée de vérité sans compromis ni demi-mesure. Il est anti-héros et héros par excellence. Camouflé sous son imperméable, affublé de son chapeau enfoncé sur une cagoule inquiétante, couverte de marques qui se meuvent aléatoirement rappelant les fameuses tâches des tests psychologiques, Rorscach semble vouer une haine profonde à toute l'humanité, à la ville engoncée dans ses vices et ses mensonges qu'il abhorre. Et pourtant il parcourt inlassablement les rues crasseuses, seul super-héros encore en activité bravant la loi. Sa voix caverneuse, son côté violent, ses talents de détective, tout intrigue chez lui. Sur les trois heures trente que dure l'intrigue, sa psyché sera explorée avec attention. Par son charisme, sa folie, son attachement fou à son « vrai visage », ce personnage fait une grande partie du film.


Lorsqu'on le rencontre, il enquête sur la mort du Comédien, sale brute sadique au sourire sardonique qui meurt dans une séquence très inspirée, mise en scène avec élégance. Le combat de ce type brisé luttant par principe plus que par conviction contre une mort qu'il savait inévitable, ce combat qui n'a rien d'héroïque et tout de sordide, finissant par une projection au ralenti à travers une vitre, fin esthétisé pour le Comédien. Le héros reviendra en flash-back tout au long du métrage, son enterrement sera le prétexte aux réminiscences des différentes personnes l'ayant côtoyé. Et ce comédien pour lequel le monde n'est qu'une vaste bouffonnerie, ce type qui pose un regard désabusé, cynique sur le monde, ce « héros » tuant une femme innocente, tabassant des manifestants, violant sa comparse Le Spectre Soyeux I, qu'a t-il d'héroïque ?


Enfin, le Docteur Manhattan, demi-dieu, démiurge qui se mure un temps loin des hommes. Qu'a t-il du héros, lui qui à la suite d'un accident nucléaire devient la première arme de destruction massive des États-Unis ? Qu'a t-il du héros, lui qui perd toutes attaches à l'humanité, progressivement, se désintéressant du sort de la race des hommes ?


Rendons grâce aux deux acteurs incarnant Rorscach et le Comédien, respectivement Jackie Earle Haley – l'un des seuls acteurs fan du matériau original et désireux d'incarner le détective psychotique – et Jeffrey Dean Morgan bluffant de cynisme et de fêlures dans le rôle du Comédien. Reste Billy Crudup qui prête voix et gestes au Docteur Manhattan. Si parfois je trouve le design dudit docteur quelque peu curieux, voir un poil kitch, le détachement douloureux et l'incompréhension de l'humanité qui se peint sur ses traits suscitent l'empathie. Sa romance – parfois un peu forcée – avec Le Spectre Soyeux explique toutefois son attachement à la terre. Parfois traitée avec un peu de lourdeur, cette relation dans ses évolutions se justifie entièrement.


Reste deux personnages dont j'ai moins parlé, volontairement : Le Hiboux et le Spectre Soyeux. Pour ce qui est de la donze – la très belle Malin Akerman – son jeu est certes moins expressif que les monstres l'entourant, mais cela ne vient-il pas de l'écriture de son personnage qui la place parfois en retrait ou en faire-valoir ? Elle ne s'accomplit qu'avec l'autre, qu'en la relation et pas dans la libération. Elle est un peu en retrait, c'est dommage, son interprétation, son personnage, tout cela reste plaisant.
Pareillement pour le Hiboux - Patrick Wilson – qui malgré un rôle intéressant et une interprétation relativement convaincante souffre d'un manque de développement.


La narration du film est relativement hachée, entrecoupée sans cesse de flash-back qui éclairent par à-coups le passé sombre, rendent la parole aux morts et démêlent les fils enchevêtrés des relations entre les différents Watchmen. À travers cette narration la part-belle est donnée à ces héros forcés à un retour à la vie civile, à ceux qui refusent d'arrêter le combat. Leurs doutes, leurs parts d'ombres, on remue la fange chez ses gens dont le masque est autant la marque de leurs forces que de leurs faiblesses.
La mise en scène est dans l'ensemble à la hauteur de ce que sait produire Snyder, esthétisée, respectueuse du comics, porteuse d'une recherche véritable même si parfois maladroite. Certaines séquences confinent à l'iconique : le combat du Comédien, le générique d'introduction, les scènes finales de destruction, les flash-back au Vietnam, le passé de Rorscach. Ces scènes crasseuses dans une ville noirâtre, crasse, ces ruelles puant le crime, le vice.
D'autres sont clairement ratées, que ce soit le combat final un peu mollasson, la scène d'amour entre le Hiboux et le Spectre Soyeux qui confine au ridicule malgré l'indéniable beauté sculpturale de Malin Akerman ; mon dieu, la métaphore sexuelle exprimée par le jet de flamme, mon dieu.
Puis des dialogues qui suintent la classe par tous les pores de la pellicule, avec Rorscach et sa voix d'outre-tombe qui vient hanter les rues



Dog carcass in alley this morning, tire tread on burst stomach. This city is afraid of me. I have seen its true face. The streets are extended gutters and the gutters are full of blood and when the drains finally scab over, all the vermin will drown. The accumulated filth of all their sex and murder will foam up about their waists and all the whores and politicians will look up and shout "Save us!"... and I'll whisper "no."



Watchmen n'évite pas certaines longueurs, ne manque pas de se prendre parfois les pieds dans le tapis. Mais au-delà de cela, les personnages charismatiques, torturés à l'extrême, profondément humains, puants, rebuts décidés envers et contre tout à sauver le monde pour se sauver eux-mêmes. Qui s'attachent au passé, à leur masque comme à un second visage, une seconde peau. Des paumés, des marginaux, des dieux et des salauds, des putains, des fils de putains, des mégalos, des psychotiques. Des figures d'une Amérique qui se cherche, qui se perd, qui se rit d'elle-même, qui se veut intransigeante et cynique à la fois.
Pas des héros vantant l'american-way of life, des héros profondément humains, comme nous, complètement jetés.


Et merde, j'vais devoir lui mettre huit, moi.

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le 25 mars 2016

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Petitbarbu

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