D'un esprit retors qui se courbe naît la surenchère du vide

La rage, caméra au poing, de Sion Sono n’est plus à prouver, l’auteur de la trilogie de la haine a marqué à tout jamais les esprits avec cette œuvre dantesque que tout bon amateur de cinoche en marge garde dans un coin de sa cervelle sélective. Alors quand l’annonce est faite, après un essai un peu plus posé, voir opportuniste, où il était question de Japon et d’une quelconque catastrophe nucléaire, que le punk samouraï à l’œil acerbe revient à ses amours pour une bobine en roue libre, dire qu’il est attendu au tournant est un vilain euphémisme.

L’homme a-t-il toujours dans sa besace cette fougue de chaque instant qu’il parvenait à canaliser intelligemment dans le terrible Love Exposure ? Cette rage critique qu’il construisait avec aplomb dans Guilty of Romance ? Ou encore cette énergie incommensurable qu’il épuisait sans réserve dans la mise en scène frénétique de Cold Fish ? Toutes ces questions pour mettre des mots sur la crainte de découvrir un homme qui s’est laisser dévorer par son succès soudain, l’esprit trop apaisé par une reconnaissance qui l’aurait dénué de l’animosité constructive qui était sienne quand il hurlait pour marquer les esprits.

La réponse est malheureusement dans un entre-deux peu réjouissant ; Why don’t you play in hell dépareille tristement avec le début rugueux de son œuvre. Si son envie d’en mettre plein les mirettes est intacte, se pose tout de même le problème d’un récit presque nombriliste qui se contente de faire du sur place pendant plus de 2 heures. Monsieur veut réaliser son chef d’œuvre, au bout de la 33ème fois et demi qu’il le répète, on a bien intégré le concept. Mais il ne suffit pas de payer des techniciens à produire des litres de sang numérique dégueulasses, ni de faire passer un bon moment à ses complices de toujours en leur demandant de tirer la tronche et d’hurler en mutilant des corps avec des katanas rouillés, ni de capitaliser sur les seins d’une actrice au fort potentiel pictural (quel coquin quand même ce Sion Sono) pour relever le challenge.

En l’état, on est à des années lumières du chef d’œuvre ! Et si l’on fait profil bas, que l’on endure poliment l’insupportable dernier acte, c’est uniquement par respect pour un auteur qui a déjà délivré son (ses) chef(s) d’œuvre. Mais les yeux s’embuent de tristesse, l’âme est en peine devant ce spectacle hystérique qui ne parvient à aucun moment à s’exprimer autrement que par des cris futiles et une surenchère qui n’a d’autre but que de travestir le vide qu’elle brasse. Techniquement, Sion Sono est encore là, son aisance formelle s’exprime à chaque séquence, que ce soit lors de cette glissade sanguine qui présente sa nouvelle muse, ou pendant ce marathon final couru par son alter égo trimbalant du rush sans reprendre son souffle, sa caméra est vive. Mais de toutes ses images, aussi belles soient-elles, n’émane rien d’autre que leur réussite visuelle tant elles sont désertées d’une quelconque implication personnelle ; une absence de point de vue qui rend éphémère toute puissance formelle mise en oeuvre.

Cette impression d’avoir assisté à un Love Exposure corrigé pour une consommation fast-food file la nausée. Why don’t you play in hell, c’est un demi Sion-Sono, ni plus, ni moins. Une énergie visuelle de chaque instant qui oublie de faire sens. Où est passé le chien fou qui n’hésitait pas à bouffer la main de son maître pour pouvoir frapper le mur du consensus par sa violence subversive ? Espérons que l’étincelle subsiste, mais devant ce brouhaha opportuniste, le doute est permis. J’en pleure bordel.
oso
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le 19 déc. 2014

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