L'implantation des Roms vers l'ouest de l'Europe depuis la chute de l'U.R.S.S et de ses satellites, est devenue ces dernières années un véritable phénomène de société. L'accueil de ses populations s'avérant plus difficile encore que celle des gens du voyage (Gadjs, manouches, gitans et autres familles) avec ces campements sauvages (insalubrité, dégradations...), leur faible volonté d'intégration (scolarisation éphémère, non respect des lois...) et la discréditation de fait auprès des habitants. Chacun y allant de sa position, mais ce n'est pas le propos ici.


Que le cinéma se saisisse de ce sujet est inévitable, même si les tentatives sont encore rares ("Cœurs purs" récemment). Jonas Carpignano le réalisateur de "A ciambra" avait eu un premier contact avec cette population lors du tournage de son premier film. Marqué par quelques personnalités et aspects du mode de vie, il a d'abord tiré un premier court-métrage éponyme, se transformant en long suite à d'autres rencontres et plus de matière.


On le sent très impliqué par son sujet, il nous propose non seulement une immersion dans la communauté, mais une tentative de rapprochement entre elle et le spectateur à travers le prisme de Pio, un jeune garçon de 14 ans dont le destin difficile se trace à son insu, malheureusement comme la plupart des jeunes roms. Pio, la pie en italien est incarné formidablement par Pio Amato, comédien amateur rom, qu'on croirait sorti tout droit d'un film de De Sica.


Carpignano reste toutefois objectif, ni angélisme, ni critique, il marque son histoire d'une espèce de fatalisme où la famille, la tradition, la culture sont autant de carcans à pouvoir véritablement vivre autrement (la fin est dans ce sens très significative).


Pio évolue dans la communauté sans être trop remarqué par les adultes ce qui a le don de l'irriter, à 14 ans pour lui, il est un homme accompli capable de les suivre même dans les mauvais coups. Quand son grand frère est mis en prison, il s'octroie d'office le rôle du chef de famille et commence à "zoner" de petits larcins en "coups" de plus en plus gros. Doté d'une personnalité forte, et de la frustration du laissé pour compte, il n'en est pas moins un gamin qui pleure, a besoin de câlins et supporte difficilement les nuits blanches... Cet aspect antinomique entre l'auto proclamé futur caïd et ce qu'est vraiment Pio est subtilement perceptible à l'écran. Un personnage "pur" en quelque sorte puisque dénué d'ambiguïté. Cela ne durera pas hélas. Le vie de la communauté représentent également les meilleures scène du film, on sent le vécu ou pour le moins un bon sens de l'observation. Il en va ainsi des scènes de repas très vivantes, du réveil de Pio qui fond dans les bras de sa mère, de la distribution de pièces, de l'enterrement... font sourire, émeuvent...


Pour autant, Carpignano ne fait pas évoluer son film dans un folklore. Ici et là il sème quelques réflexions sur l'avenir de la tradition. Ainsi l'aïeul qui explique à Pio qu'avant, en nomades, ils étaient libres et qu'aujourd'hui ils se retrouvent tous "seuls, contre le monde entier". Ou encore les apparitions présages du cavalier, sachant que le cheval totem est pour eux symbole de la motivation qui les transporte à travers la vie. Où se trouve désormais leur pourvoir de liberté ?


"A ciambra" déborde de vitalité à l'image de son jeune héros. Cela ne l'empêche pas moins ici ou là de tomber dans la facilité. On pouvait penser avec ces impressionnantes scènes du début à une espèce de documentaire à la mode fictionnelle tel le "Brothers of the night" de Patric Chiha. Chiha filmant des prostitués Roms vivant en huis clos dans une espèce de mirage un peu étrange et pourtant très réaliste (d'ailleurs les scènes de boîte de nuits ont les même éclairages de bleu liberté au rouge passion). Carpignano reste lui plus prosaïque. Et si on compare "A ciambra" avec "Toto et ses sœurs" le documentaire d'Alexander Nanau, qui lui traitait de roms de Roumanie on se dit également qu'un peu d'aérations avec des scènes plus légères malgré le drame ambiant, auraient ici renforcé le propos.


Mais il faut le reconnaître, Carpignano a l'œil et un savoir faire. A ciambra" tient ses promesses et vous laisse après un suspens scénaristique ambigu content d'avoir cru à l'expérience, et triste à la fois de constater que notre monde n'est décidément pas celui des bisounours...

Fritz_Langueur
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Les meilleurs films de 2017 et Les "Fritz d'Or" 2017

Créée

le 30 janv. 2018

Critique lue 405 fois

5 j'aime

2 commentaires

Fritz Langueur

Écrit par

Critique lue 405 fois

5
2

D'autres avis sur A Ciambra

A Ciambra
Clode
7

Etre un homme

Imiter les hommes. Les hommes que l’on connait. Les hommes qui nous entourent. Faire le dur. Fumer. Boire. Insulter. Fumer beaucoup. Plaire aux filles. Dire qu’on plaît aux filles. Rire. Vouloir...

le 1 oct. 2017

9 j'aime

1

A Ciambra
Fritz_Langueur
8

Pio, le vaillant pti homme !

L'implantation des Roms vers l'ouest de l'Europe depuis la chute de l'U.R.S.S et de ses satellites, est devenue ces dernières années un véritable phénomène de société. L'accueil de ses populations...

le 30 janv. 2018

5 j'aime

2

A Ciambra
Christoblog
9

Naturalisme cru et poésie

Avant d'aller voir ce film, il est intéressant d'en connaître la genèse. Jonas Carpignano, réalisateur italo-américain, filme dans la ville calabraise de Gioia Tauro depuis 2011. Il y a tourné un...

le 21 sept. 2017

4 j'aime

Du même critique

Ni juge, ni soumise
Fritz_Langueur
8

On ne juge pas un crapaud à le voir sauter !

Ce n'est pas sans un certain plaisir que l'on retrouve le juge d'instruction Anne Gruwez qui a déjà fait l'objet d'un reportage pour l'émission Strip-tease en 2011. Sept ans après, ce juge totalement...

le 12 févr. 2018

59 j'aime

7

120 battements par minute
Fritz_Langueur
10

Sean, Nathan, Sophie et les autres...

Qu’il est difficile d’appréhender un avis sur une œuvre dont la fiction se mêle aux souvenirs de mon propre vécu, où une situation, quelques mots ou bien encore des personnages semblent tout droit...

le 24 août 2017

56 j'aime

10

Tale of Tales
Fritz_Langueur
9

La princesse aux petites poisses...

Indiscutablement « Tale of tales » sera le film le plus controversé de l’année 2015, accueil mitigé a Cannes, critique divisée et premiers ressentis de spectateurs contrastés. Me moquant éperdument...

le 3 juil. 2015

48 j'aime

11