Présenté en sélection officielle à Cannes en 2009 dans le cadre de la section Un certain regard, A deriva n'a malheureusement pas bénéficié à l'époque d'une très grande exposition médiatique malgré la présence d'un de nos plus grands acteurs français en tête d'affiche.
On avait pourtant bien vu Vincent Cassel parlant un portugais parfait, défendre le film - au coté de sa jeune et jolie partenaire, Laura Neiva - avec beaucoup de conviction et de sérénité.

Quelques mois plus tard, le film sort en salle mais passe assez inaperçu dans une rentrée cinématographique pourtant bien morose qualitativement.

Le DVD est donc le bienvenu car il permet enfin de bénéficier d'une salutaire séance de rattrapage.

L'histoire en est assez classique et universelle: Au Brésil, dans les années 80, sur les cotes ensoleillées et paradisiaques des environs de Rio de Janeiro, Filipa (Laura Neiva), 14 ans, découvre l'infidélité de son père (Vincent Cassel), écrivain français à succès qui trompe sa femme avec une belle américaine vivant dans un village voisin. Cet évènement sera l'amorce d'une longue série de chocs douloureux et de découvertes plus voluptueuses qui seront autant de rites initiatiques pour l'adolescente et l'amèneront malgré elle vers un age plus adulte...

On a beaucoup vu ces dernières années de films "de plage" envisagés comme des films du passage: Le Refuge et Sous le sable d'Ozon, en France, sur le passage de vie à trépas et du deuil à la vie, Villa Amalia, d'une vie vers une autre, Respiro ou Golden Door en Italie sur le passage de la terre à l'au dela des mers et la liberté à conquérir, et en Amérique latine, on peut penser au très beau XXY de l'argentine Lucia Puenzo, qui signait également un film assez cruel et émouvant sur le passage de l'enfance à l'adolescence - par le biais de la découverte de la sexualité (et du choix de son identité sexuelle en l'occurrence...) - avec lequel A deriva partage une tenace mélancolie, malgré la lumière.

Cette symbolique teintée du mystère des abysses marins, on la retrouve depuis toujours au cinéma et particulièrement associé au thème de l'adolescence dans la scène finale des 400 coups de Truffaut où Antoine Doinel terminait sa course folle face à la mer, immense champ des possibles autant que barrière infranchissable.
Le choix d'un tournage "balnéaire" n'est donc ici certainement pas fortuit ni simplement décoratif et exotique et l'on peut facilement y voir un choix symbolique fort qui marquait déjà tous les films cités précédemment avec lesquels A Deriva partage notamment le traitement inouï de la lumière et des paysages maritimes, très proches notamment de l'éblouissement des films d'Ozon, de Crialese et de Benoît Jacquot dans leur rapport contemplatif et quasi mystique avec la mer.
Ce n'est évidemment pas non plus pour rien que le titre du film évoque la dérive et le sel de cette mer est sans doute d'ailleurs l'ingrédient essentiel qui fait que ce beau mélo, doux et lumineux, sur la perte de l'innocence, n'a jamais le gout de l'eau de rose.
Car en effet, si le thème parait presque simpliste à priori et même rebattu, le traitement sensible, sensuel et pourtant assez âpre empêche toute dérive vers un romantisme adolescent ridicule ou la flamboyance d'un mélo hollywoodien.
Heitor Dhalia (quel nom merveilleux !) dans son souci permanent de justesse, s'interdit toutes les facilités souvent inhérentes au mélo et délivre un film d'une belle émotion retenue, d'un esthétisme splendide sans jamais tomber dans le chichiteux ou dans un exotisme touristique.
Car, à son apparence très léchée (par les vagues, ouarf !), s'oppose souvent la cruauté du récit et une très grande justesse dans le traitement de celui ci.

La plus grande réussite du film tenant à la façon très subtile dont il démontre l'incapacité des adultes à protéger leurs enfants des états d'âme qui les torturent ou des conflits qui les animent et l'immense capacité de ceux ci à renifler ces tourments même s'il n'en saisissent pas toujours tous les tenants et aboutissants.
Le personnage de Filippa, adolescente et donc frondeuse par essence, est persuadée de tout comprendre et même sans doute de détenir la vérité et l'opposition fondamentale entre ce qu'elle ressent, ses illusions d'enfant et la réalité plus complexe et souvent cruelle d'une vie d'adulte provoque une blessure qu'Heitor Dhalia parvient à rendre très vive.
La confrontation de cette très jeune femme avec ses premières désillusions, mais aussi la découverte presque perverse de son pouvoir de séduction et de manipulation rendent presque palpable cette impression de chaud/froid propre à l'adolescence, ce mélange de peur et d'envie, d'espoir et de dégoût, de naïveté et de lucidité... C'est sans doute dans cet aspect que le film est le plus convaincant et c'est aussi là qu'il parvient à être tellement touchant, juste et profondément émouvant.

Il faut tout de même ajouter le plaisir - après ce palmarès de personnage déjantés (Mesrine, Irreversible,Sheitan, Les promesses de l'ombre...) - de retrouver Vincent Cassel dans un registre plus sensible dans lequel il excelle !
Il se révèle ici charnel, incroyablement séduisant et souvent extrêmement touchant dans une nouvelle facette presque inédite de son immense talent...
La complicité père/fille entre lui et sa jeune partenaire est établie illico par le cinéaste et ses comédiens. Laura Neiva, véritable bombe atomique, est ici une révélation et elle s'avère très convaincante dans un rôle très lourd et au final assez complexe (à l'instar, d'ailleurs, de tous les acteurs enfants ou adolescents du film).

Mais c'est la mère, Clarice, magnifiquement interprétée par Debora Bloch, qui est sans doute la plus belle chose de ce film... elle incarne probablement le personnage le plus opaque et mystérieux et, paradoxalement, celui dont la fêlure est la plus perceptible.
C'est d'ailleurs grâce à elle que toute la vérité éclatera, et que sa fille pourra enfin comprendre et grandir... même si c'est forcément dans les bras de Papa que les jeunes filles retournent toujours se blottir et redeviennent de petites filles, le temps d'une étreinte. Ici, bouleversante...
Foxart
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le 11 août 2014

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