A GHOST STORY (David Lowery, USA, 2017, 92min) :

A Ghost Story, voilà un titre qui intrigue. Une invitation qui nous ramène à l’enfance, à nos peurs les plus intimes, à l’impalpable, une proposition attirante et à la fois effrayante qui nous fait hésiter avant de se plonger dans cette vertigineuse histoire de fantôme dont nous n’attendions pas grand-chose de nouveau. Erreur ! Ce stupéfiant conte fantastique narrant une romance dans le Texas profond qui va basculer à la suite d’un accident bouscule tous les codes du genre et s’avère être une claque renversante. Révélé par l’émouvant et singulier Les Amants du Texas (2013), puis bifurquant par un convaincant film mainstream Peter et Elliot le dragon (2016), David Lowery revient avec une élégie funèbre sur l'absence, le deuil, l'amour, le temps et la mort.

Au début la nuit s’affiche, écran noire pour une nuit blanche où les bruits d’insectes se mêlent aux rires d’un couple, où la femme répond à son homme qui lui demande pourquoi elle rit : « J’ai si peur ! ». Le ton est donné, mélange de vie et de terreur avant que quelques séquences suivantes, derrière un nuage de fumée lentement la caméra vient envelopper de son baume élégiaque la tragédie fatale. A partir de là, le long métrage se transforme en ode terrassante. Le cinéaste afin de nous emmener au mieux vers ce fascinant voyage d’outre-tombe nous offre une élégante mise en scène au format 1:33, aux cadres carrés avec des coins arrondis, comme de vieilles diapos récupérées d’une ancienne malle, un choix minimaliste captivant. Le metteur en scène propose des longs plans séquences contemplatifs très maitrisés, avec de nombreux plans fixes à la géométrie minutieuse de cadres dans le cadre, un enfermement pour mieux affranchir toutes les frontières cartésiennes de notre esprit à travers des plans taiseux à la foi inouïe quant au pouvoir du langage cinématographique. Ce radical dispositif exigeant et ambitieux tranche avec l’humilité des effets, le fantôme surprise, apparaissant à l’écran juste affublé d’un long drap blanc, composé simplement de deux trous pour les yeux.

Le cinéaste nous invite à des réflexions existentielles par le biais de ces compositions de cadres épurés qui révèlent en chacun de nous une puissance émotionnelle intime monumentale. David Lowery transcende audacieusement son lent récit métaphysique sensible silencieux en optant pour le point de vue du fantôme et par une envoûtante narration elliptique suspendue où le cosmique vient croiser diverses temporalités pour somptueusement annexer le cycle de la vie des hommes sur Terre, avant qu’ils s’évanouissent un jour dans l’infini…Ce brillant long métrage par le biais de ce magnifique tour de passe-passe, permet d’explorer de façon inédite la perte d’un être cher, l’impossible deuil et la tristesse du temps qui s’égrène inexorablement jusqu’à l’éventuel retour d’une bien aimée.

Cette expédition cinématographique hors du temps ne cesse d’étonner tout au long de ce périple mental sensoriel, sublimé par une partition musicale vitale et organique, composée par le talentueux Daniel Hart comme un langage de substitution, allant même vers la voie du sacré. Inoubliable. David Lowery retrouve le couple maudit de son film Les amants du Texas, l’émouvante Rooney Mara et le mystérieux Casey Affleck dans le rôle du fantôme profondément humain pour incarner avec justesse cette ode au désespoir où le chagrin s’estompe jusqu’à l’oubli irréversible. Plus loin qu’un simple exercice de style talentueux ce prodigieux drame funeste intelligent, nous interroge avec mélancolie sur notre rapport avec l’après-vie et sur nos liens avec nos proches disparus avec une ampleur inédite, tant les images de cet ovni cinématographique hantent notre esprit bien après la projection.

Cette fable arty ambitieuse lorgne également vers les origines du cinéma, ne reste pas muette pour rendre hommage avec talent, aux sources inspiratrices de son cinéma, à travers l’essence malickienne infusée dans certaines séquences et dans la virtuosité des plans où le génie de Béla Tarr est convoqué.

Venez confronter votre « moi » intime à travers cette œuvre évanescente innovante, douloureuse et apaisante qui fera date dans A Ghost story, au cinéma, comme dans la vie. Poétique. Introspectif. Poignant. Universel.

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le 1 nov. 2022

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