Critique rédigée à chaud (puis étoffée après une longue nuit de sommeil).

A l'ouest rien de nouveau. Putain. Décidément. J'avais déjà lu le livre : une merveille. Et maintenant ce film. A l'ouest rien de nouveau c'est une Entité, l'essence même du pacifisme dans le contexte de la première guerre mondiale. C'est cette chose qui malmène le Conflit armé.

De tous ses tentacules (comprendre toutes les méthodes usées pour démontrer l'absurdité de la guerre), l'Oeuvre étrangle les "nerfs de la guerre", elle les écrase et en dépose les carcasses faméliques aux côtés de valeurs dites "humaines" (les guillemets viennent du fait que la guerre et toutes les atrocités qui en découlent sont au fond... très humaines elles aussi) ; sont donc superposés : des vies, fauchées, mutilées, gâchées à jamais, et les raisons politiques qui auront fait s'embraser le conflit, les arguments censés justifier ces victimes (on n'en parle pas clairement au cours du film, au cours du bouquin non plus si je me souviens bien, car nous sommes du point de vue des soldats... qui ne comprennent même pas pourquoi ils se battent).

Il s'agit donc d'un manichéisme entre la non-volonté des soldats à combattre, et la totale résolution de ceux qui les commandent à le faire. C'est de cet étrange paradoxe qu'émane l'absurdité de la guerre.

Il faut savoir, pour ceux qui ont lu le livre avant de voir le film, que les passages poétiques et lyriques présents dans l'oeuvre de Remarque ne le sont plus ici. En effet, aucune voix off ne viendra retranscrire cela. Non. Pourtant le message est là. Le ton est là. Celui suinte à travers les personnages (dont le jeu d'acteur est inégal il faut l'admettre, cependant le casting, lui, est de premier choix). Ces derniers montrent avec talent cette dégénérescence dans l'attitude qui constitue un des concepts les plus importants du livre.

Il faut savoir, avant d'entamer toute autre comparaison entre l'oeuvre de départ et celle-ci, que l'adaptation est d'une qualité gargantuesque. Tout n'est pas présent : il ne s'agit pas d'une retranscription, mais un tri prodigieux a été fait pour ne montrer que le plus marquant, le plus incisif. Les bons dialogues, les bonnes scènes. Tout les éléments les plus imprégnés du message pacifiste que veut transmettre Remarque sont là. L'ambiance est donc particulièrement froide, amère, et horrifique.

N'oublions pas qu'il faut également apprécier l'oeuvre en tant que film. On remarque au cours du long-métrage une maîtrise absolue des travelling, en particulier sur les scènes de bataille. L'impression de chaos est accrue. Aussi, la présence de plans tout à fait ingénieux rendent le portage de l'oeuvre dans les salles obscures réellement intéressant ; l'image, selon ses propres codes, propage les idées de l'auteur avec la même force que les mots. Par exemple, un plan en contre-plongée depuis un entonnoir (c'est à dire un trou d'obus) montrant ainsi une sorte de vue subjective du soldat allongé à l'intérieur. On voit les autres soldats qui sautent littéralement au dessus de la caméra sans s'en préoccuper. Cela permet de propager par le visuel ce sentiment de panique, cette sensation d'être une créature minuscule perdue dans un terrible enfer, éprouvée par le soldat.

Un autre excellent élément de l'oeuvre cinématographiquement parlant est l'utilisation de très nombreux sur-cadrages : cela retranscrit la vision détachée du narrateur par rapport à l'action. Le spectateur est donc, à travers ce type de plans, mis de côté, et voit l'action sous un angle particulier. On alterne ainsi entre les plans tournés aux côtés des soldats, où l'on se sent avec eux, et ceux tournés en sur-cadrage plus à l'écart, où l'on observe, tel le narrateur du livre, les événements avec un certain recul. De ces plans dégouline toute l'exaspération de Remarque et tout le pessimisme de son regard sur le conflit.
Pensons aussi aux effets spéciaux, assez impressionnants tout de même. Couplés à des effets sonores réussis, (bien que l'ambiance sonore soit un peu pauvre par moments sur les champs de bataille qui paraissent étrangement calmes comparés à ce qui se dit dans le livre) ils permettent une immersion parfaite pour le spectateur.

"All Quiet on the Western Front" est donc l'adaptation la plus parfaite qui pouvait être conçue à partir de cette perle rare de pacifisme qu'est le livre dont elle est tirée. On atteint la quintessence du portage cinématographique. Remarque utilisait les codes de la littérature pour faire sensation, Milestone et Cukor reprennent ce message, ce contexte, et y implantent les mécaniques du cinéma pour véhiculer l'idée d'une façon différente mais non moins réussie. Chef d'oeuvre absolu.
Kronthal
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le 27 juin 2013

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