Et Pialat de filmer la nécrose familiale et tous ses moments de disputes comme élans vitaux. Le constat est terrible avec le cinéaste, il faut de la violence, un déséquilibre constant dans le rapport humain, et très peu de moments d'apaisements (c'est de réputation, Pialat se disputait avec tout le monde). Mais, c'est que l'intensité de vie n'apparaît que dans les moments de fissures. A nos amours est alors un film infernal, où dans la multiplicité de chaque moment guette le conflit. La force dévorante qui unit les personnages rappelle beaucoup *Un Amour de Swann*, dans cette cruelle lucidité sur l'amour, triste histoire de transfert (symptomatique ce mot, répété plusieurs fois dans le film).
Ces amours du titre plus que ceux d'une éducation sentimentale s'étendent tout autant, si ce n'est d'avantage, à la famille. D'où ce Pialat acteur-père monstrueux, dans les discussions avec Suzanne et, évidemment, ce dîner final, mondanité intime que Pialat transforme en festin terminal de cruauté. Or il n'y a pas de révélation dans ces instants là, chacun sait toute la haine qui accompagne l'amour prodigué par l'autre, pas de voile. Suzanne en est consciente, c'est pour cela qu'il est déjà trop tard, elle est mature. Pialat père quitte la maison lorsqu'il l'a compris : « tu as changé », dit-il à sa fille, elle en a même perdue sa fossette...
Car Pialat, en tout cas dans ce film, est un cinéaste de l'épiderme, pas tant des profondeurs psychologiques, ou indirectement : tout passe par le visage. C'est les éruptions faciales qu'il cherche, Bonnaire (à la peau si belle que son frère, au choix, la renifle ou la frappe) est une incroyable matière pour lui. Il suffit de voir les dix premières minutes du film, véritable "moments de Sandrine Bonnaire". Pialat cadre et surtout monte à partir d'elle, il attend pour couper, capte les changements sur son visage, jeux de séduction souvent, mais qui en disent déjà trop ( comment lire d'ailleurs ce dernier plan, image fixe sur le visage de Suzanne ?). Et si Pialat est assurément un grand dialoguiste il n'est pas un littéraire, ses dialogues sont un moyen non une fin, ils sont le média par lequel l'on voit s'agiter, se tendre et convulser les traits de ses personnages : Pialat est un peintre. Dans A nos Amours on crie donc avec une violence inouïe, jusqu'à faire éclater la persona. Le spectateur est dans une position intenable, pris d'effroi face à ces êtres se vidant en cris pour mieux se témoigner leur amour. On a tant vanté des films de visage, « grand films de sentiments » avec La vie d'Adèle ou Mommy, Fast-food des sentiments peut-être oui, mais le gouffre des sentiments, on le trouve chez Pialat.
Tout cela est bien une histoire de maladie il me semble, la bonne santé Pialat si intéresse moins. La clé est donnée : « La tristesse durera toujours » nous cite-il en effet, d'après Van Gogh. Non ce n'est pas une plainte, c'est que Pialat, en joli maso, croit au bonheur mais d'avantage à son envers. A nos amours est ainsi, un film qu'on déteste peut-être plus qu'on ne l'aime.