Suite à l’annonce abrupte que Thomas (Mikkel Boe Følsgaard) souhaite devenir la femme qu’elle a toujours été, son noyau familial – sa femme et ses deux filles – la rencontre quelques mois plus tard lors d’une séance de thérapie familiale. Révélatrice du dispositif émotionnel de Malou Reymann, cette séquence place au centre du cadre Emma (Kaya Toft Loholt), fille cadette de onze ans, dont l’arrière de la tête, enveloppée dans une écharpe afin de ne pas voir son père, monopolise l’image. De Thomas/Agnete, on ne devine qu’un gilet rose pailleté et un pantalon en peau de serpent. Par cet hors-champ, A Perfect Family révèle à la fois son véritable protagoniste, Emma, et son enjeu principal, l’exploration des réactions multiples d’un enfant face à la transition d’un parent. D’un côté, cet effacement du personnage transgenre permet d’éviter les écueils fétichistes et dramaturgiques autour de la représentation des transgenres au cinéma d’Une Nouvelle Amie (2014) d’Ozon à A Danish Girl (2015) de Hooper. D’un autre, cette prétérition questionne sur le regard porté sur la personne transgenre en elle-même, comme absente de sa propre transition et/ou ramenée de manière parfois grotesque (cf. une séance de dilatation vaginale au milieu du salon).


En choisissant l’échelle familiale pour raconter ce processus transidentitaire, A Perfect Family propose une approche intimiste faisant fi de tout sensationnalisme. Par l’intégration de flashbacks tournés en VHS montrant l’enfance d’Emma et de Caroline (Rigmor Ranthe) – sa sœur aînée, Malou Reymann forge une proximité affective à la fois entre les personnages et avec le spectateur. Le lien familial, qu’il soit passé (acquis par la « normalité » hétérosexuelle) ou présent (à réapprivoiser), sert de liant à la cinéaste. Il lui permet d’élaborer par la collusion d’événements marquants – de l’anniversaire d’Emma à celui d’Agnete, de la confirmation de Caroline aux matchs d’Emma – une dissection précise des rapports intimes entre les personnages. Pour Agnete, cette confrontation de deux temporalités répondant à deux genres distincts met en exergue une approche binaire renforcée et réfléchie (pour correspondre au moule féminin) qu’il s’agisse de l’achat de sarongs rose à ses filles ou de l’aveu factice qu’elle n’y comprend rien au football lors d’une discussion avec une autre mère rencontrée dans une station balnéaire des Baléares.


Néanmoins, A Perfect Family borne sa propre approche en omettant le point de vue d’Helle (Neel Ronholt), femme de Thomas/Agnete. Probablement sacrifié sur l’autel de l’anti-pathos, le personnage de la mère cantonne par son absence l’œuvre à une dichotomie simpliste entre les deux enfants chacune suivant une trajectoire fléchée : l’acceptation pour Caroline (adolescente « féminine »), le rejet pour Emma (tomboy). Le portrait préalablement minutieux de cette dynamique familiale à préserver, voire à intensifier, se restreint alors à la répétition d’un même canevas. Chaque séquence s’amorce alors par un geste d’amour, maladroit ou non, d’Agnete envers cette enfant meurtrie par la « mort » de son père – pour reprendre les termes de la première altercation familiale renvoyant à la scène de la thérapie familiale déjà citée. Alors que l’atmosphère semble s’améliorer, une pression sociétale quelconque pousse Agnete à affirmer sa position de femme (et donc de mère) et provoque l’emportement d’Emma. Cette redondance scénaristique se répète même dans la dernière partie de A Perfect Family, inversant simplement – suite à une nouvelle péripétie – les rôles entre les deux sœurs.


À travers son premier long-métrage, Malou Reymann démontre une quête du sensible et semble chercher à percer l’infime détail qui modifie les cœurs. Malheureusement, elle affaiblit son ambition par un scénario prévisible, cheminant vers un inéluctable happy end repoussé uniquement par la répétition des mêmes enjeux et querelles. La poursuite d’une norme, sociale (la famille) ou esthétique (le réel), qui parcourt A Perfect Family le teinte d’une certaine innocence pouvant se confondre quelques fois avec de la naïveté.

Contrechamp
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le 11 août 2020

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