Quatre parcours dans une Chine moderne où l’humain est sacrifié à l’autel de la croissance. Avec A Touch of Sin, Jia Zhang Ke signe une oeuvre violente, imprégnée par le(s) film(s) de genre. Mise en scène en écran large et vision No Future.




Jia Zhang Ke a toujours été un observateur désabusé de l’évolution de son pays : Plaisirs inconnus parlait de la jeunesse et surtout de l’impasse dans laquelle elle se trouve. The World plaçait Beijing au centre du monde, y compris pour tous les travailleurs forcés à une migration intérieure pour pouvoir subsister. Still Life observait,en temps réel, la fin de la ville de Fengjie, submergée par les eaux suite à la construction du barrage des Trois-Gorges. Un monde de solitude, de regard toujours pessimiste, avec cette question récurrente : et l’humain dans tout ça ?


Tout cela est dans A Touch of Sin et même encore plus, encore pire. A travers les quatre parcours évoqués dans le film, Jia Zhang Ke dresse un portrait implacable de son pays, violent, corrompu et vendant littéralement sa population pour la croissance de quelques-uns. Les histoires d’amour sont, par nature, vouées à l’échec. Le pays de A Touch of Zen – classique du film de sabre situé dans la dynastie Ming – s’est transformé en A Touch of Sin cinq siècles plus tard : la fin du film fait d’ailleurs le lien entre les deux dans une représentation de théâtre de marionnettes, symbole d’une Chine éternelle). Mais là où le héros de Still Life était attentiste, ceux de A Touch of Sin passent à l’action. Forte tête en résistance dans une ville entière corrompue par un oligarque local, Dahai, frustré, brimé, molesté, prend son fusil de chasse et passe en mode « massacre ». Travailleur migrant, San’er sombre dans une fascination macabre de son revolver et devient une machine à tuer. Hôtesse d’accueil dans un sauna, Xiaoyu, poussée à bout par un client, se transforme en guerrière shaolin… Pour un peu, on se croirait chez Tarantino où le ras-le-bol profond conduit à une violence jusqu’au-boutiste. Xiaohui, le jeune homme dont le destin amoureux et professionnel semblent déjà scellés dans une vie entière de galère, a recours lui aussi à la violence, la retournant contre lui dans un geste, lui-aussi extrême.


Abandonnant l’aspect documentaire de ses précédents films, la mise en scène se met au diapason de cette nouvelle posture. Avec son chef opérateur, Yu Lik wai, lui même cinéaste (Love will tears us apart), il élargit son échelle de plan, compose chacun de ses cadrages dans un équilibre parfait entre espace et personnage, comme on le ferait dans un western (surtout pour la partie Dahai). Ailleurs, il propose un montage au millimètre, sec et précis, s’inspirant du film de sabre ou du film noir. Etonnamment, A Touch of Sin est à la fois le film de Jia Zhang Ke le plus grand public – par sa mise en scène – et le plus radical – par son histoire, mais aussi sa structure. Les quatre personnages n’ont en effet aucun lien entre eux, ne se croisant que fortuitement dans un passage de relais virtuel d’un mauvais karma. Cette mécanique implacable, qui sera une limite pour certains, donne une force accrue à un film qui refuse le chichiteux scénaristique au profit d’un vrai film d’auteur, récalcitrant et no future.

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le 16 déc. 2013

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denizor

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