A Touch of Sin est un film violent, c'est un truc qu'il vaut mieux signaler aux curieux. Il y a à la fois de la violence physique, visuelle (des têtes qui explosent), et de la violence morale.
Le film raconte quatre histoires, tirées d'histoires vraies, où des personnes qui se retrouvent seuls face à l'injustice utilisent la violence qu'ils retournent contre leur agresseur, eux-même, voir n'importe qui, pour faire face à la vie. Ca peut paraître d'une grande banalité, mais c'est assez joliment fait, surtout que la violence n'est jamais seulement la réalisation de la justice. Elle excède. Ce qui nous évite de tomber dans la simple justification de la violence. Et son esthétisation est également soigneusement évitée, de par le côté très cru des agressions, la laideur des têtes défigurées par les coups de canons vengeurs. Alors oui, à chaque scène, à chaque histoire, on attend la violence, on se dit "bon, quand est-ce qu'il va le déssouder, ce salopard, ce ne sera que justice", et finalement c'est toujours pire que ça. Du coup, le film évite la critique sociale un peu facile et tient un propos qui me semble assez subtile. C'est très visible dans la première histoire, celle de Dahai, où un homme vient faire justice à la place d'un parti communiste qui ne s'intéresse pas à contrôler les potentats locaux. Mais si les humiliations répétées et l'indifférence de la population qui se soumet bêtement aux puissants nous font prendre une certaine délectation des différents meurtres, on s'effraye un peu aussi de la mort d'une femme passant par là presque par hasard et d'un pauvre type qui, certes bat son cheval de façon frénétique, mais dont la mise à mort est difficile à justifier. Déjà, le film semble dire que si la violence peut avoir son origine dans la souffrance et l'injustice, elle en fait trop... Ce que deuxième récit achèvera de démontrer (un type qui tue, certes des riches, mais plutôt pour avoir le sentiment d'exister), tandis que le troisième récit sera moins clair, donnant aux victimes le statut d'un peu coupable.
De même que le film évite la trop facile justice par la violence, il évite aussi la simple critique du capitalisme pour raconter les abus de pouvoirs politiques, économique et familiaux.
Si la critique du capitalisme apparaît, c'est plutôt dans le mépris des femmes dans lequel se rejoignent joyeusement les dirigeants politiques et les chefs d'entreprises. Plusieurs scènes magnifiques présentent avec force le mépris des plus ou moins "riches" pour les prostituées (même si a contrario, on y voir aussi un jeune homme aimer une prostituée).
Enfin, le film s'achève sur un suicide que j'ai trouvé merveilleusement filmé, dans son absurdité. Une partie du mépris que les chinois ont d'eux même en tant que peuple est traduit par des expressions du type "nous sommes tellement nombreux, un chinois meurt, il y en a dix pour le remplacer". C'est quelque chose que j'entends régulièrement et qui à mon avis traduit la capacité qu'à eu le PCC à complètement nier la valeur des individus pour en faire les éléments d'une masse informe. On ressent cette idée dans ce suicide mou, cette chute sans envol de celui qui semble se donner la mort, non pas comme dans la tradition romantique, pour donner un sens et une exaltation à sa vie, dans un geste de subjectivation absolu, mais plutôt dans une forme de résignation complète, dans un mépris de soi qui apparaît dans le (non?) choix d'un lieu sans âme et même sans signification pour se suicider. Là encore, Jia Zhang Ke semble avoir refusé de donner la moindre forme esthétique à la violence de ce suicide qui semble dire "ce jeune homme là meurt, mais tant d'autres aussi, de la même façon, dans l'indifférence, parce que sa mère voulait qu'il lui ramène de l'argent et qu'il a déconné". C'est un suicide un peu étrange, qui (au contraire des critiques sur le capitalisme que j'entends ici ou là) arrive à une personne qui semble pouvoir trouver de l'argent à gauche ou à droite (c'est aussi ça le capitalisme) mais que l'amour a déçu, tandis que sa famille l'oppresse, et qui en tout cas renforce le sentiment d’insignifiance de sa vie.
Le seul regret que j'aurais (et qui lui vaut un 9 plutôt qu'un 10) est que le film ne rend pas compte de la visibilité de la violence dans la société chinoise. Toutes les histoires sont tirées de faits réels, et pourtant elles sont filmées comme des histoires perdues, invisibles, éparpillées aux quatre coins de la Chine. Alors qu'elles ont fait l'objet de débat public sur les blogs, sur internet, dans les médias chinois. Pourtant, il y a quelques conversations sur internet et quelques extraits de journaux télévisés, mais ils sont toujours critiqués, et Jia Zhang Ke a choisi d'occulter que ces médias eux aussi, arrivaient à traiter de la violence, et à la dénoncer.