S'il existe au cinéma un carrefour des ethnies orientales, Achik Kerib de Paradjanov en est le témoin. La texture des costumes qui forme un élan de couleurs, la plastique des décors qui situent l'action dans un onirisme pictural et la musique traditionnelle qui, par la puissante de sa sonorisation, nous hypnotise et nous transporte au sein même de la légende d'Ashug-Karibi.
Car Paradjanov, pour son dernier film, retrace une ultime légende dont sa transposition visuelle a fort évolué depuis Andriech, son premier long réalisé avec Bazelian.
L'opacité habituelle du récit chez Paradjanov est là encore de rigueur. Cependant ici, à l'instar de Sayat Nova, il s'agit plus de retranscrire l'univers du poète par la magie des modèles que véritablement en narrer l'histoire. Ainsi tout comme pour Les Chevaux de feu, le film est scindé en ce qui semblerait être des chapitres, comme pour signaler chaque nouvelle ode.
Paradjanov, dans sa dernière oeuvre atteint une certaine apogée du cinéma d'art, le cinéma devant alors être le nouveau médium pour véhiculer des icônes. Les figures picturales venant s'agencer au sein des figures humaines mouvantes, mystique comme ces statuettes arméniennes sacrées.
Contemplatif mais aussi éblouissant, Achik Kerib, ultime oeuvre du grand Paradjanov, prouve une dernière fois que le cinéaste-colleur est un artiste des éléments, mêlant dans cette oeuvre plus que dans les autres la pétulance des images iconographiques et des chants hiératiques.