L'accueil assez tiède réservé à Acide est pour le moins étonnant. Alors que le premier long de Just Philippot, La Nuée, avait suscité un intérêt pour le moins galvaudé à mon goût, Acide, qui affirme pourtant de façon beaucoup plus convaincante les préoccupations aussi bien sociales, familiales qu'environnementales du réalisateur, reçoit les quolibets. C'est amusant, d'ailleurs, de constater que dans un registre similaire, Dans la brume, sorti en 2018, fût plutôt mieux reçu ici et ailleurs, alors que, tant dans la mise en scène que le scénario, c'était assez lénifiant.
Et donc. On critique le jeu de Guillaume Canet. Qu'on soit bien d'accord : Canet réalisateur, c'est la cata, ou pas loin. Mais en tant qu'acteur celui-ci n'a jamais démérité et Acide en est une nouvelle preuve (et en l'occurence Canet n'a rien à envier au Duris de Dans la brume, par exemple, ou même plus récemment du Règne animal). C'est d'ailleurs assez déroutant de voir avec quelle facilité l'acteur français parvient à se défaire en quelques scènes, dans ses meilleurs rôles (il était aussi très bon dans Une vie meilleure de Cédric Kahn), de son statut d'enfant gâté/nouveau riche du cinéma français. En cela, c'était astucieux (et un peu provocateur aussi) de la part de Philippot de le faire camper, dans un contrepied absolu, un syndicaliste bougon, bourrin, voire un peu bas du front.
On évoque ici et là une trop nécessaire suspension d'incrédulité. Mais au bout d'un moment il faut savoir ce que l'on veut : on veut du film de genre français de qualité, qui a les moyens ? Alors il faut accepter les règles du jeu du genre. On n'est pas dans le thriller ou le film policier, on est dans un film catastrophe. Qui par définition pousses les curseurs au max. Et de ce point de vue, Acide a encore beaucoup, beaucoup de marge.
Mais si on parlait cinéma ? Les scènes d'émeute sont admirables d'efficacité et de tension. Les effets horrifiques percutants. Les dialogues, justes. Mais au-delà du savoir-faire évident de Just Philippot, ce qui séduit dans Acide, c'est, au même titre que La Tour de Guillaume Nicloux, cette vision de la société d'un pessimisme abyssal, où absolument plus personne ne respecte personne (à l'instar de la scène d'introduction où la violence des syndicalistes est mise sur un pied d'égalité avec celle des CRS). Le dérèglement du climat dans Acide est évidemment la parabole d'une société en déroute totale : affaissement des conventions sociales (au pire on laisse les gens crever sur le bord de la route, au mieux on les invite le temps de quelques heures pour mieux les jeter dehors ensuite), familles éclatées, rongées par le ressentiment, mépris de classe... Le tableau est complet.
On comprend que cette noirceur puisse dérouter, mettre mal à l'aise, mais n'est-ce pas le propre, encore une fois, du cinéma de genre, de mettre en exergue les pires travers de l'être humain ? De toute évidence, le public et la critique français on préféré le geste plus optimiste, poétique et sentimental (dans le bon sens du terme) du Règne animal. Etant donné le contexte national et international, anxiogène à souhait, on peut le comprendre. Mais ne méprisons pas pour autant les partisans d'une autre facette du genre, affreux, sale et méchant, dont Just Philippot et Guillaume Nicloux (dans une autre mesure, puisque ce dernier est un franc-tireur) font partie.